Xavier Bertrand veut permettre au procureur de prononcer “des amendes pour les délits punis au maximum de 5 ans d’emprisonnement”
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Lucas Massoni, Sciences Po Grenoble et master droits de l’homme et Union européenne de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Relecteur : Amaury Bousquet, avocat à la cour
Source : Compte Twitter de Xavier Bertrand, 22 octobre 2021
La mesure proposée par Xavier Bertrand existe déjà, c’est qu’on appelle la composition pénale. Le procureur doit malgré tout faire valider toute composition pénale par un juge. Si le candidat à l’élection présidentielle propose de supprimer cette validation, cela serait probablement censuré par le Conseil constitutionnel et remis en cause par la Cour européenne des droits de l’homme pour une raison simple : le procureur n’est pas un magistrat indépendant et ne doit donc pas, dans une démocratie, décider seul d’une peine.
Le 22 octobre 2021, Xavier Bertrand a présenté, en vue de l’élection présidentielle de 2022, les grandes lignes de la politique pénale qu’il appliquerait s’il était élu, en déclinant ses propositions pour développer une justice pénale qui soit plus “rapide” et plus “efficace”. À cette occasion, le candidat LR a indiqué qu’il entendait donner davantage de pouvoirs aux procureurs.
Le procureur n’est pas un juge
Le procureur de la République est un magistrat du parquet, qui est chargé de poursuivre les auteurs d’infractions, de diriger les enquêtes et de décider de l’issue à donner à l’enquête. Il peut ainsi poursuivre l’auteur devant un tribunal, opter pour une alternative aux poursuites, ou classer sans suite. Lors d’un procès, le procureur, qui représente l’intérêt général, demande l’application de la loi et le prononcé d’une peine, à la différence du juge, qui est indépendant et qui rend sa décision après avoir entendu le procureur, mais aussi la personne poursuivie et la victime. Soumis à l’autorité du ministre de la justice, le procureur est un relais de la politique pénale du gouvernement.
Or, Xavier Bertrand souhaite que les procureurs puissent, pour les délits punis de moins de 5 ans d’emprisonnement, prononcer des amendes et des mesures de réparation ou d’éloignement sans avoir à passer par le juge, le but étant de faciliter et d’accélérer le prononcé et l’exécution de la sanction.
En réalité, Xavier Bertrand propose la composition pénale, qui existe déjà…
D’abord, avant de décider de la suite à donner à la procédure – engager ou non des poursuites –, le procureur peut proposer à l’auteur des faits différentes mesures comme indemniser la victime, réparer le dommage résultant de l’infraction, s’abstenir de paraître dans un lieu ou d’entrer en contact avec la victime. Si l’auteur exécute ces mesures, le procureur peut classer l’affaire sans suite : il s’agit de ce qu’on appelle un classement sans suite “sous conditions”.
Surtout, la loi a développé, depuis plusieurs années, un certain nombre de procédures qui sont autant d’alternatives aux poursuites, et parmi celles-ci la composition pénale, créée en 1999. La composition pénale permet au procureur de proposer une peine à l’auteur d’une infraction, plutôt que de renvoyer cette personne devant un tribunal. Il s’agit d’une forme de transaction.
Dans le cadre de la composition pénale, une amende (du même montant que celle qui aurait pu être prononcée par un tribunal) peut être décidée, mais aussi un certain nombre d’autres mesures, telles que l’obligation de suivre un stage ou une formation, l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général, la confiscation d’un objet, ou encore l’interdiction de quitter le territoire national ou d’entrer en contact avec la victime.
La composition pénale ne s’applique qu’aux délits punis de moins de 5 ans d’emprisonnement – avant 2004, elle ne concernait que certains délits – et suppose la reconnaissance préalable par l’auteur de sa culpabilité. Elle a été étendue aux personnes morales en 2019.
En cas d’accord entre le procureur et l’auteur des faits, le procureur saisit un juge afin de valider la composition pénale. Le juge valide l’accord s’il considère que “les mesures proposées [sont] justifiées au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de [l’]auteur”. Il peut au contraire refuser de valider “s’il estime que la gravité des faits, […] la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient le recours à une autre procédure”. Depuis 2019, il n’est plus obligatoire de faire valider la composition par un juge lorsque l’amende prononcée est inférieure à 3000 euros et que le délit est puni de moins de 3 ans d’emprisonnement.
En 2020, près de 40 000 compositions pénales ont été mises en œuvre (sur 470 000 condamnations pénales prononcées environ).
… Mais il veut une composition pénale sans intervention du juge.
Xavier Bertrand n’invente pas une nouvelle procédure, il propose uniquement de se passer systématiquement du juge. Or, l’intervention du juge, surtout en matière pénale – c’est-à-dire quand une peine est susceptible d’être prononcée –, est essentielle, car seul le juge bénéficie de garanties d’indépendance. La France prendrait donc le risque d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déjà jugé en 2010 que le procureur français n’était pas une autorité judiciaire indépendante. Il est par ailleurs possible que le Conseil constitutionnel censure, lui aussi, une telle initiative, en invoquant le principe de séparation des autorités de poursuite (les procureurs) et de jugement (les juges). Il l’avait d’ailleurs fait en 1995 à l’encontre de l’”injonction pénale”, une ancienne version de la composition pénale, précisément car cette procédure ne prévoyait pas le contrôle d’un juge.
Enfin, même s’il est vrai que depuis 20 ans, les réformes ont élargi les prérogatives des procureurs, à tel point que ceux-ci deviennent de plus en plus des quasi-juges, et développé les procédures de transaction permettant d’éviter un procès et d’accélérer le traitement des affaires pénales, il est important de rappeler que les procureurs sont, en France, moins nombreux que leurs homologues européens (3 pour 100 000 habitants contre 12 en moyenne en Europe). Une telle mesure surchargerait inévitablement des parquets, déjà très congestionnés : les plaintes seraient donc traitées avec encore plus de lenteur…
Contacté, Xavier Bertrand n’a pas répondu à nos sollicitations.
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