Le maire de Lisieux impose un couvre-feu face au covid-19, pour « conforter la police dans son action »
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Source : Paris Normandie, 31 mars 2020
La loi créant l’état d’urgence sanitaire prévoit que le gouvernement peut habiliter les préfets à prendre des mesures de police sanitaire, ce qui a été fait par décret du 23 mars 2020. Les maires sont donc bloqués en principe et ne peuvent intervenir, sauf circonstances exceptionnelles propres à leur commune, ce qui ne semble pas être le cas à Lisieux.
Il y a en ce moment une frénésie d’arrêtés municipaux, en particulier ceux dits de « couvre-feu », appellation non officielle pour des arrêtés du maire interdisant sauf exception tout déplacement la nuit, généralement entre 22h et 5h du matin. Or il faut savoir que :
1/ Le maire détient un pouvoir de police générale et peut tout à fait instaurer un couvre-feu dans sa commune, cela depuis que la police municipale existe, et surtout depuis que se développent certaines formes de violence dans certains quartiers.
2/ Mais ces couvre-feux ont toujours été partiels et motivés par des troubles locaux graves. Par exemple le couvre-feu instauré à Orléans pour les mineurs de moins de treize ans, validé par le juge à l’époque, en raison de violences entre jeunes et forces de l’ordre. Autre exemple récent, le couvre-feu dans certains quartiers de Meudon (92) face aux troubles nocturnes liés à des rassemblements de motocyclistes, également validé partiellement par le juge en 2019. Ces couvre-feux ne portaient donc pas sur la ville entière ni sur toute la population. Ils étaient ciblés.
3/ La loi portant État d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 modifie le code de la santé publique et crée une police sanitaire d’urgence : c’est une police dite spéciale, qui peut être confiée au gouvernement et localement aux préfets (code de la santé publique, article L 3131-17) : « les autorités (…) peuvent habiliter le représentant de l’État dans le département à les décider lui-même ». Cette habilitation a été prononcée par un décret du même jour. Les préfets font ainsi respecter le confinement, et parfois ajoutent des mesures plus sévères encore comme la limitation de la vente d’alcool (face aux violences conjugales).
4/ Comment se combinent donc la police générale du maire et la police spéciale du préfet ? Selon le juge, le maire ne peut agir, sauf en cas de « péril imminent ou de circonstances exceptionnelles propres à la commune ». Dans ce cas seulement, il peut prendre des mesures plus sévères que celles adoptées par le préfet.
Et c’est là que l’arrêté du maire de Lisieux, qui vise toute la ville, semble bien illégal : on ne voit pas en quoi sa ville connaîtrait, dans son ensemble, des circonstances exceptionnelles qui lui soient propres et que les autres villes ne connaissent pas. En revanche, il en va autrement dans des villes où le non-respect du confinement tient à des spécificités locales : quartiers où les conditions de vie créent une forte désobéissance face au confinement, espaces de loisirs ou de tourisme faisant l’objet de promenades interdites, villes de pèlerinage, etc. Si Lisieux est bien une ville de pèlerinage, ce n’est pas ce que son maire a invoqué pour justifier son arrêté de couvre-feu.
Reste le « péril imminent », qui est incontestable. Mais la violation du confinement fait encourir jusqu’à six mois d’emprisonnement et 3 750 € d’amende tandis que la violation d’un arrêté de couvre-feu du maire par un habitant est punissable d’une amende de 38 euros. C’est donc moins sévère et cela entrave l’action du préfet. C’est illégal.
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