Le maire de Bordeaux a-t-il le droit d’accrocher des banderoles critiquant le projet de loi de finances sur la mairie ?
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Hugo Guguen, juriste
Source : Compte X de Pierre Hurmic, le 8 novembre 2024
Un bâtiment public, affecté à un service public, est soumis au principe de neutralité. Si le juge est saisi, il imposera certainement au maire de Bordeaux de retirer ses banderoles.
Deux banderoles, une étincelle et 16,5 millions d’euros. Voilà quelques chiffres qui pourraient résumer la crise entre la Mairie de Bordeaux et la Préfecture de Gironde. Le 4 novembre dernier, afin de protester contre les coupes budgétaires envisagées par le gouvernement pour les collectivités, Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, déploie deux banderoles sur le fronton de l’hôtel de ville.
“Loi de finances 2025, l’État ampute le budget municipal de Bordeaux de 16,5 millions d’euros, on les prend où ?”, peut-on lire sur la première. “Vous préférez : priver tous les élèves de cantine à Bordeaux ou supprimer la police municipale ? Vous trouvez ça absurde ? Nous aussi”, appuie la seconde.
Rappelé à l’ordre par le préfet de Gironde, qui invoque la “neutralité des services publics”, l’élu persiste et refuse de retirer ces affiches. Mais, comme nous l’avons bien souvent rappelé, accrocher des affiches ou banderoles politiques sur un édifice abritant un service public est illégal.
Des bâtiments publics soumis au principe de neutralité
Un des principes cardinaux du service public est la neutralité de celui-ci. Le service public ne doit manifester aucune préférence politique, philosophique et religieuse.
Le bâtiment de l’hôtel de ville étant affecté au service public de la Mairie, la loi impose qu’il ne puisse servir un autre but que celui de son affectation. Il ne peut donc servir de support physique à une quelconque propagande politique.
Les Surligneurs avaient eu l’occasion de le rappeler quand le drapeau breton fut hissé sur le fronton de la mairie de Nantes, ou lorsque le maire de Morbecque couvrait sa mairie d’un immense gilet jaune.
Une condamnation inéluctable ?
Le préfet de Gironde a prévenu, et c’est là son rôle, que, si le maire ne faisait pas retirer sa banderole, il saisirait le juge administratif qui trancherait. En toute logique, le juge, s’il est saisi, considérera qu’il y a une atteinte à la neutralité du service public et ordonnera le retrait de la banderole.
Une atteinte à la neutralité dont le maire de Bordeaux se défend pourtant. “À aucun moment, je n’ai cherché à ce que ces banderoles symbolisent ‘la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques'”, a-t-il écrit sur X.
Dans un communiqué de la Ville, Pierre Hurmic a également fait valoir “la liberté d’expression des élus locaux” et son souhait de tenir informé “la population bordelaise des coupes budgétaires qui menacent à ce jour les financements et la pérennité des services publics”. Selon lui, cela “empièterait sur la libre administration des collectivités territoriales et de leur pouvoir d’appréciation en matière budgétaire”, alors qu’il s’agit là d’un “principe à valeur constitutionnelle (art.72)”.
Mais une fois n’est pas coutume, ces nombreux droits doivent être mis en balance. Et le principe de neutralité du service public a su s’imposer dans la catégorie poids lourds.
En 2005, le juge avait rappelé l’importance de ce principe dans le cas d’un drapeau indépendantiste sur le fronton d’une mairie en Martinique. Plus récemment, la mairie de Stains a été condamnée pour l’affichage d’un message demandant la libération d’un prisonnier palestinien, et, dans un autre registre, la mairie d’Hénin-Beaumont pour avoir installé une crèche de la nativité dans la mairie.
Alors, bien que le juge des référés ait rejeté, ce 12 novembre, la requête de l’opposition d’enlever ces banderoles, il ne s’est en réalité pas prononcé sur le fond de l’affaire. Et le dénouement de celle-ci ne fait pas trop de doutes.
En attendant, de Bordeaux à La Rochelle en passant par Besançon, des banderoles semblables fleurissent sur le fronton des mairies. Avec, certainement pour toutes, la même issue.
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