“Liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG” adoptée par le Congrès à Versailles : quelles conséquences ?
Auteurs : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteurs : Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public, Université Savoie Mont Blanc
Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, Université de Poitiers
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
La liberté de faire quelque chose implique que l’État ne peut l’empêcher, sans avoir à s’en mêler. Le droit à quelque chose implique que l’État favorise l’accès à cette chose. Quant à la liberté garantie, c’est encore un ovni juridique.
Le Parlement réuni en Congrès a officiellement et définitivement adopté projet de loi constitutionnelle visant à intégrer l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, lundi 4 mars. Le texte finalement adopté fait de l’IVG une “liberté garantie”. Les sénateurs Philippe Bas et Bruno Retailleau avaient déposé un amendement, rejeté par le Sénat, qui proposait de supprimer le mot “garantie”. D’autres parlementaires voulaient aussi intégrer un “droit” à l’IVG. Comprendre la différence est essentiel, car cela conditionne ensuite les pouvoirs du Parlement, en cas d’arrivée d’une majorité hostile à l’IVG à la suite d’élections législatives.
La liberté est par essence limitable
Consacrer une liberté signifie que l’État ne peut empêcher l’accès à l’IVG. Il a donc l’obligation dite “négative” de ne pas s’y opposer par des contraintes légales ou réglementaires excessives (délais trop longs, motifs d’IVG limités, bureaucratie excessive, etc.). Mais aucune liberté n’étant absolue, elle peut être limitée afin de préserver notamment l’ordre public. C’est le sort classique dans un État de droit où chacun exerce ses libertés sans nuire à celle des autres, et en tenant compte de l’ordre public (même si on voit mal en quoi la pratique de l’IVG nuit à l’ordre public ou à la liberté des autres).
Le droit implique un accompagnement de l’État
Un droit à l’IVG aurait eu une plus grande force juridique. Face à un droit constitutionnel, non seulement l’État ne peut empêcher l’IVG (comme pour la liberté), mais il a aussi une obligation dite “positive”, de tout mettre en œuvre pour que les femmes puissent avoir accès à l’IVG, en mettant en place des dispositifs juridiques (par exemple la prise en charge par la sécurité sociale, l’obligation pour le corps médical de respecter ce droit, etc.). Il doit également mettre en place des structures institutionnelles appropriées. Tel est par exemple le cas du droit à l’éducation scolaire, qui implique de placer des écoles partout sur le territoire et de créer des systèmes d’aides aux plus démunis.
Et la liberté garantie ?
On ne connaît pas de modèle de liberté garantie dans la Constitution. C’est un ovni juridique. Dans ces conditions, deux lectures sont possibles. Première lecture, la liberté garantie n’est jamais qu’une liberté. Toutes les libertés sont garanties, en particulier par la Constitution et les juges, qui peuvent être saisis contre l’État s’il entrave trop une liberté. Seconde lecture, la liberté garantie se rapproche du droit. Non seulement l’État ne peut empêcher l’IVG sauf raison d’ordre public, mais il doit s’appliquer à faire en sorte que toute femme souhaitant recourir à l’IVG puisse le faire. Cela suppose donc la mise en place de dispositifs d’accompagnement. C’est précisément ce que certains sénateurs reprochent à la liberté garantie : elle engage trop l’État et l’idée que l’État puisse faciliter l’acte d’IVG leur déplaît.
C’est le Parlement, compétent pour mettre en œuvre cette liberté garantie au titre de l’article 34 de la Constitution, qui tranchera, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. En tout état de cause, il n’y a pas de recul : la loi ne pourra pas empêcher le recours à l’IVG de façon trop significative. Ainsi, même avec une liberté garantie et non un droit, la loi française ne pourrait, comme en Pologne depuis 2020, restreindre l’IVG à deux cas seulement (si la grossesse met en péril la vie de la mère et si cette grossesse est issue d’un viol ou d’un inceste).
Mais est-ce que, avec cette liberté garantie, la loi devra faire en sorte que les femmes aient un meilleur accès à l’IVG quand elles le souhaitent ? Est-ce que cette liberté garantie pourrait empêcher un déremboursement de l’IVG par la loi (par exemple à propos des IVG dites “de confort”) ? Ce sera au Conseil constitutionnel d’en décider.
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