Selon l’Ordre des médecins, un réseau de téléconsultations médicales par abonnement mensuel de 11.99 euros serait contraire à la déontologie médicale
Dernière modification : 18 juin 2023
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonction ou rôle politique : aucun
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonction ou rôle politique : aucun
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani
Source : Communiqué de l’ordre des médecins du 8 juin 2023
L’ordre des médecins menace de sanction disciplinaire tout médecin qui exercerait dans la cadre de l’offre du Groupe de cliniques privées Ramsay. Ce dernier entend créer un abonnement payant garantissant au patient une consultation médicale 24h/24 et 7jours/7, ce que l’ordre dénonce comme une atteinte au système de santé et à la déontologie médicale. On ne voit pas a priori le problème, sous certaines réserves.
Curieuse concomitance sur le site de l’ordre des médecins : d’un côté un communiqué s’opposant à l’initiative du premier groupement de cliniques privées en France (le Groupe Ramsay) de créer ce que certains dénoncent comme un « Netflix de la santé », à savoir un abonnement mensuel de 11.99 euros par mois, avec la garantie pour les patients d’obtenir une téléconsultation 24h sur 24, 7 jours sur 7. De l’autre côté, la veille, la publication d’un atlas de la démographie médicale alarmiste.
Les arguments de l’ordre contre cet « abonnement » aux téléconsultations
Selon l’ordre, ces téléconsultations « menacent le système de soins et son modèle organisé autour de médecins qui répondent aux besoins de la population dans leur région ». Or le modèle du médecin libéral de campagne au plus près des patients, quoi qu’on en pense par ailleurs, n’exclut en rien d’autres systèmes. Depuis un décret du 3 juin 2021 relatif à la télésanté, les téléconsultations sont entrées dans le code de la santé publique (article R. 6316-1 et suivants) avec un encadrement réglementaire strict : des conditions techniques visant notamment à veiller au secret sont exigées, et le dispositif permet déjà, modestement, de combler certaines lacunes dans certains territoires et certaines spécialités.
Selon l’ordre encore, ce Netflix de la santé remet en cause « le modèle de santé français fondé sur la solidarité et la gratuité des soins ». Or, les soins ne sont aucunement gratuits en France. Tout acte médical est payant. Ce qui donne l’impression – très dommageable – de gratuité, est la prise en charge par la sécurité sociale et les mutuelles, avec tiers payant.
L’ordre ajoute que ces soins seraient payants sans remboursement. Sous réserve d’éclaircissements sur le modèle économique proposé, deux remarques s’imposent. D’une part, les consultations payantes sans prise en charge par la sécurité sociale existent déjà : ce sont les consultations auprès de médecins non conventionnés. D’autre part, on ne voit pas, à ce stade, pourquoi ces téléconsultations seraient exclues de la prise en charge par la sécurité sociale ou les mutuelles, d’autant qu’elles peuvent éviter aux patients de recourir systématiquement aux urgences… qui coûtent bien plus cher à la sécurité sociale.
Enfin, l’ordre estime que « ce type d’abonnement fait de la médecine un commerce et déconsidère la profession », et brandit, comme souvent, la menace de sanctions disciplinaires à l’encontre des médecins qui entreraient dans ce dispositif.
Ce dispositif est-il contraire à la déontologie médicale ?
On ne connaît pas bien le modèle économique à ce stade, mais une chose est certaine : l’abonnement de 11.99 euros réclamé au patient potentiel ne saurait être intégré au prix de la consultation d’une façon ou d’une autre. Ce serait du “compérage” entre le médecin et le groupe Ramsay, interdit par le code de déontologie (article R. 4127-23). Ainsi, le groupe doit rester un simple intermédiaire, à l’image de Doctolib. Mais Doctolib est rémunéré par les médecins eux-mêmes et non par le patient. De même, une clinique qui met tout un équipement à disposition d’un médecin libéral est rémunérée par ce dernier (c’est une « redevance »), et se rémunère aussi sur le patient qu’elle héberge (le médecin percevant sa rémunération parallèlement). Il n’y a donc pas de mélange des genres, chacun est rémunéré pour sa propre prestation.
Ce que propose le groupe en question ne saurait sortir de ce cadre, s’il fait appel à des médecins libéraux. S’il fait appel à ses médecins salariés de ses propres cliniques, le problème se pose différemment : il revient au chef d’entreprise d’organiser le travail de ses salariés, et le fait de créer un réseau de téléconsultations ne semble pas entrer en contradiction avec le code de déontologie.
Le risque lié à la publicité
Quant au fait que cette modalité de téléconsultation sur abonnement conduirait les médecins à exercer leur art « comme un commerce », il ne tient pas non plus. Il est vrai que l’article R. 4127-19 du code de déontologie dispose : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce ». Ce texte dénigre au passage les commerçants en les opposant aux professions intellectuelles censées être plus dignes. Il interdit les procédés publicitaires de toutes sortes, le démarchage, les “promotions” ou les tarifs dégressifs… Ainsi, un médecin peut être sanctionné s’il adopte des comportements de type commercial (de l’avertissement à la radiation définitive, en passant par la suspension temporaire). Il peut également être sanctionné si la clinique dans laquelle il exerce se livre à des pratiques publicitaires, car son nom y est associé. C’est à ce stade que se niche un risque juridique. Toute publicité tapageuse en faveur de ce dispositif pourrait en effet être contraire à la déontologie.
Enfin, il reste que tout ne peut être diagnostiqué et encore moins traité à distance. Le risque est alors l’erreur de diagnostic avec ses conséquences, qui peuvent être graves pour le patient bien sûr, mais également pour le médecin en termes de responsabilité. Il ne faut donc pas attendre de ce dispositif qu’il réponde à tous les besoins de soins de santé, du moins en l’état actuel des techniques.
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