Municipales : un candidat a été condamné et déclaré inéligible mais il fait appel ou forme un pourvoi. Peut-il se présenter ?

Création : 23 janvier 2020
Dernière modification : 20 juin 2022

Autrices : Camille Ancelot et Justine Caffeau-Martin, étudiantes à Sciences Po Saint-Germain, sous la direction de Camille Morio, maîtresse de conférences en droit public à Sciences Po Saint-Germain et d’Emmanuel Daoud, avocat à la cour, cabinet Vigo

Malgré un risque d’inéligibilité, Maryse Joissains est candidate à la mairie d’Aix-en-Provence pour un quatrième mandat. Condamnée en mai dernier à six mois de prison avec sursis et à un an d’inéligibilité par la cour d’appel de Montpellier, elle a formé un pourvoi en cassation. Le droit lui permet bel et bien d’officialiser sa candidature sans attendre le jugement de la Cour de cassation, au risque toutefois de ne pas atteindre le premier scrutin. Dans le cas où la juridiction suprême se prononcerait en sa défaveur avant le premier tour, Maryse Joissains serait en effet contrainte de retirer sa candidature.

Maryse Joissains, condamnée pour détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts

Le 18 juillet 2018, Maryse Joissains a été condamnée par le tribunal correctionnel de Montpellier à un an avec sursis et dix ans d’inéligibilité pour avoir favorisé la promotion de son chauffeur personnel et l’embauche à la communauté de communes d’une collaboratrice chargée de la protection animale, alors même que ce domaine ne relève pas des compétences exercées par la communauté. Le tribunal a estimé qu’il s’agissait d’un usage frauduleux de l’argent public puisque les attributions de la collaboratrice, Sylvie Roche, étaient déjà exercées par l’un des services municipaux. Si Maryse Joissains considérait ce service insuffisant, elle avait la possibilité de le renforcer mais pas celle de créer un nouveau poste à l’échelon communautaire.

Après avoir fait appel, la maire de la deuxième plus importante commune des Bouches-du-Rhône a vu sa peine réduite à six mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité. Disposant d’une seconde voie de recours, elle a immédiatement formé un pourvoi en cassation dont l’audience publique est fixée au 19 février prochain. Pour autant, la décision ne sera pas prononcée à cette date. Il faudra patienter encore un peu afin de connaître le dénouement final. La décision « sera rendue dans un délai suffisamment restreint pour être connue avant les élections”, indique la Cour de cassation.

Dans quelles situations un candidat peut-il être déclaré inéligible ?

Selon l’article L. 199 du code électoral, “sont inéligibles les personnes désignées à l’article L. 6 et celles privées de leur droit d’éligibilité par décision judiciaire en application des lois qui autorisent cette privation.”

Les actes répréhensibles d’inéligibilité sont donc recensés dans le code électoral et le code pénal. Il s’agit des crimes et délits d’une particulière gravité (articles 131-26 à 136-26-2 du code pénal), du refus d’exercer des fonctions confiées par la loi (articles L. 204 et L. 235 du code électoral), des manquements aux obligations déclaratives auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (articles L.O. 128 et L.O. 136-2 du code électoral), des manquements aux règles des campagnes électorales (articles L. 118-3 et L.O. 136-1 du code électoral), des manoeuvres frauduleuses portant atteinte à la sincérité du scrutin (articles L.118-4 et L.O 136-3 du code électoral) et, enfin, des manquements aux obligations fiscales (article L.O. 136-4 du code électoral).

C’est le juge administratif qui est compétent pour les contentieux directement liés aux élections alors que le juge pénal est chargé de juger les personnes soupçonnées d’avoir enfreint le code pénal.

Selon la juridiction compétente, les peines d’inéligibilité encourues ne sont pas les mêmes. Là où un juge administratif ne peut pas prononcer une peine d’inéligibilité supérieure à 3 ans, un juge pénal est en mesure de condamner la personne reconnue coupable à une peine complémentaire pouvant atteindre les 10 ans d’inéligibilité.

S’agissant de Maryse Joissains, le procès a été mené devant les juridictions pénales au motif de détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts (articles 432-15et 432-12 du code pénal). Ces délits entraînent obligatoirement l’inéligibilité du condamné. Depuis la promulgation des lois pour la confiance dans la vie politique de 2017, ces peines complémentaires d’inéligibilité sont en effet obligatoires pour tout manquement à la probité.

Pourquoi une personne déclarée inéligible peut-elle se porter candidat aux élections municipales ?

Le 10 janvier, Maryse Joissains a déclaré : « Je bénéficie de la présomption d’innocence, j’ai toutes les capacités pour me présenter ». Mais que dit la loi quant à cette possibilité ?

L’inéligibilité prononcée par la Cour d’appel le 28 mai dernier interdit à Maryse Joissains de se porter candidate. En revanche, son pourvoi formé en cassation constitue une voie extraordinaire de recours. En matière pénale, le pourvoi en cassation a pour effet de suspendre l’exécution de la peine prononcée en première instance ou en appel, sauf si cette peine est assortie d’une exécution provisoire. L’arrêt rendu par la cour d’appel dans le procès de Maryse Joissains ne prononce pas de peine assortie d’une exécution provisoire; elle bénéficie donc bel et bien de la présomption d’innocence et l’inéligibilité à laquelle elle a été condamnée est suspendue jusqu’au rendu de la décision de la Cour de cassation.

Maryse Joissains déjà condamnée en 1986 : est-il possible de se présenter aux élections municipales malgré l’absence de casier judiciaire vierge ?

Maryse Joissains avait déjà été condamnée pour recel d’abus de biens sociaux en 1986. Pourquoi a-t-elle pu se présenter à toutes les élections municipales depuis 2001 ? Car posséder un casier judiciaire chargé ne constitue pas un facteur d’inéligibilité. La loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique prévoyait d’exiger un casier judiciaire totalement vierge pour pouvoir candidater à n’importe quel type d’élection politique. Cette disposition, qui était aussi une promesse de Jean-Luc Mélenchon, a été abandonnée pour risque d’inconstitutionnalité, comme le prévoyaient Les Surligneurs. Comme l’a expliqué la ministre de la Justice Nicole Belloubet, cette disposition reviendrait à condamner les délinquants et les criminels à l’inéligibilité de manière automatique, sans prendre en compte les parcours individuels. Ces peines automatiques seraient contraires au principe d’individualisation des peines garanti par la Constitution.

Maryse Joissains : une candidature parfaitement licite, pour le moment…

Maryse Joissains est donc actuellement libre de se présenter aux élections municipales 2020 d’Aix-en-Provence. Néanmoins, il n’y a aucune certitude pour la suite. Si le pourvoi de la candidate est rejeté à quelques semaines, voire quelques jours du premier tour de l’élection municipale (le 15 mars), la peine de la cour d’appel de Montpellier s’appliquera et Maryse Joissains se verra contrainte de retirer sa candidature et de quitter ses fonctions de maire. A l’inverse, si la Cour de cassation casse le jugement, la condamnation sera annulée, laissant le champ libre à Maryse Joissains pour se présenter devant les électeurs.

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