Sortir de la CEDH, comme le veut le député (LR) Guillaume Peltier ? Un acte inédit et sans mode d’emploi

Création : 2 juin 2021
Dernière modification : 22 juin 2022

Autrice : Tania Racho, docteure en droit européen, Université Paris II Panthéon-Assas

Source : RTL, Le Grand Jury, 30 mai 2021

Pour ne plus dépendre de la Cour européenne des droits de l’homme, il faut dénoncer la Convention du même nom et en sortir. On notera tout de même qu’un protocole n°15 a été ajouté à la Convention, qui insiste sur la subsidiarité de la jurisprudence européenne et prend mieux en compte la souveraineté des États.

Invité de l’émission RTL-LCI le grand jury, Guillaume Peltier (LR) estime que “la Cour européenne des droits de l’homme bride la souveraineté des peuples et des nations” et souhaite “en sortir provisoirement pour contraindre les juges [européens] à respecter la souveraineté des États”. 

Le vice-président du parti Les Républicains démarre fort sa campagne pour la présidentielle avec des propositions qui l’obligeront à surmonter quelques obstacles.

Deux éléments sont particulièrement délicats à mettre en œuvre dans son discours sur la Cour européenne des droits de l’homme : d’abord la sortie provisoire de la Convention européenne des droits de l’homme, dans l’objectif ensuite de contraindre les juges de la Cour européenne à respecter la souveraineté des États.

Sortir provisoirement de la CEDH : possible mais complexe et avec des conséquences que Guillaume Peltier ne semble pas avoir envisagées

La Convention européenne des droits de l’homme, qui crée la Cour européenne des droits de l’homme chargée de veiller à sa bonne application, ne prévoit pas de suspension provisoire. 

Deux possibilités s’offrent alors : soit une sortie définitive et un retour ensuite, sous conditions. Soit une “suspension” de certains articles de la Convention pour des questions liées à un état d’urgence.

La seconde option est à éliminer car cela ne répondrait que partiellement aux objectifs de Guillaume Peltier. Pour la première option, la Convention européenne des droits de l’homme prévoit une clause de dénonciation (article 58). C’est un schéma classique dans les traités internationaux : les États s’engagent, ils peuvent se désengager. La Convention européenne des droits de l’homme indique qu’il faut pour cela attendre 5 ans après la ratification (ce qui est le cas pour la France), puis notifier un préavis de 6 mois auprès du Secrétaire général du Conseil de l’Europe. La France ne pourrait plus être sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour des actions commises après les 6 mois de préavis. Mais pendant la période de préavis et pour ce qui s’est passé avant, la France resterait responsable devant la Cour.

Attention également : le Conseil de l’Europe a pris l’habitude de conditionner l’adhésion de ses membres à la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme. Donc si un pays décide de sortir de la Convention, il paraîtrait logique qu’il soit aussi exclu du Conseil de l’Europe, qui comprend 47 membres. Ainsi, la France serait le seul État européen à ne pas faire partie de cette organisation de défense des droits de l’homme.  

L’objectif : “contraindre les juges européens à respecter la souveraineté des pays”

Guillaume Peltier, qui n’a pas répondu à nos questions, entend revenir dans la CEDH en faisant en sorte que plus aucun juge extérieur ne puisse s’opposer aux décisions prises souverainement par la France. Simplement, cette demande est absurde juridiquement : les juges nationaux ou internationaux ne doivent jamais être contraints dans leurs décisions. 

On fera tout de même remarquer que la Cour européenne des droits de l’homme tient déjà compte de la souveraineté des États dans bien des domaines, avec l’idée de “marge nationale d’appréciation” : la Cour évite déjà de se prononcer  lorsqu’elle estime que les pays européens entretiennent des divergences de fond sur une problématique. Par exemple, relèvent de cette marge d’appréciation la question du port du voile, celle du mariage homosexuel, ou celle du droit à l’avortement, etc. 

Cette marge respectée par la Cour devrait être renforcée par un protocole n° 15 entrant en vigueur le 1er août 2021, qui insère dans le Préambule de la Convention les termes de “subsidiarité” et de “marge nationale d’appréciation”. Les deux vont clairement dans le sens d’un renforcement de la souveraineté nationale, en rappelant que les juges nationaux sont les plus pertinents pour comprendre une situation interne.

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