Selon Nicole Belloubet, Ministre de la Justice, « l’insulte à la religion est une atteinte à la liberté de conscience »
Dernière modification : 20 juin 2022
Autrice : Léa Blouet, étudiante à l’Institut d’études judiciaires de Rennes 1, sous la direction de Jean-Paul Markus, professeur de droit à Paris-Saclay
Source : Europe 1, Matinale, 29 janv. 2020.
Affirmer que « l’insulte à la religion est une atteinte à la liberté de conscience », cela revient à rétablir le délit de blasphème pourtant aboli par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Le blasphème est une insulte envers la religion, pas envers ses adeptes affirme clairement les juges. Seule l’injure raciale contre une personne constitue un délit. En clair, « Islam de m… » est un blasphème et non un délit, mais dire la même chose d’un musulman est un délit.
Le contexte est celui de l’affaire dite Mila, une lycéenne qui est la cible de nombreuses menaces de mort sur les réseaux sociaux après avoir tenu des propos hostiles à l’islam dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. Invitée sur Europe 1 à réagir sur cette affaire, Nicole Belloubet a déclaré que « l’insulte à la religion » est « évidemment une atteinte à la liberté de conscience », avant de reconnaître sa maladresse et de rappeler l’importance de la liberté d’expression. Reste que ses propos ont vivement fait réagir l’opinion publique.
On a pu voir dans l’expression « insulte à la religion » une volonté de la ministre de qualifier les propos tenus par Mila de délit de blasphème. Or ce délit a été supprimé du code pénal depuis la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Les propos tenus par Nicole Belloubet peuvent donc semer le trouble. D’autant que la liberté d’expression est une liberté fondamentale garantie par l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme de 1789 et par les articles 10 et 11 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, et ayant valeur constitutionnelle en droit français. De plus, la France étant un Etat laïc depuis la loi de 1905, elle garantit la liberté de conscience, principe fondamental selon lequel chacun peut croire en ce qu’il veut.
Cette affaire relance aussi le débat sur le point de savoir si insulter une religion, ses symboles ou ses figures revenait à insulter ses adeptes. Or les juges français se sont déjà prononcés sur le sujet. En effet, lors du procès intenté contre le journal Charlie Hebdo suite à la publication des caricatures de Mahomet en 2007, le tribunal de grande Instance s’est montré on ne peut plus clair « en France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ».
Donc, en droit français, il est tout à fait possible de s’en prendre à un culte tant que l’on n’insulte pas ses adeptes directement. Par conséquent Nicole Belloubet se trompe: les propos tenus par Mila ne constituent pas une atteinte à la liberté de conscience car le délit de blasphème n’existe plus, seule l’injure envers une personne est pénalement répréhensible. En clair, « Islam de m… » est un blasphème mais pas un délit et n’est donc pas punissable selon les lois républicaines. Mais « musulman de m… » est une injure raciale, sévèrement punie par les mêmes lois républicaines (45000 euros et un an de prison). Et comme dans une démocratie les lois pénales s’interprètent de façon stricte, il n’est pas possible de dire que l’insulte à une religion revient juridiquement à insulter les adeptes de cette religion, alors même que cela pourrait se comprendre du point de vue religieux.
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