Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, veut interdire les listes “communautaristes” aux élections

Création : 24 novembre 2019
Dernière modification : 20 juin 2022

Auteur : Romain Rambaud, professeur de droit, Université de Grenoble

Source : Proposition de loi, 8 novembre 2019

Bruno Retailleau veut interdire les listes “communautaristes” aux élections par sa proposition de loi. Sauf que sa proposition de loi ne résout pas ce qu’il considère – à tort ou à raison – un problème. Elle crée une interdiction à la fois trop vague, trop large et disproportionnée, qui serait assurément censurée par le Conseil constitutionnel.

Depuis des semaines, des voix s’élèvent pour demander l’interdiction des listes « communautaristes » pour les élections municipales. Cette polémique fait suite aux résultats de la liste Une Europe au service des peuples de l’Union des démocrates musulmans français (UDMF) aux élections européennes. Si celle-ci ne fit au niveau national qu’un résultat très faible (0,13 % des suffrages), elle obtint des scores autour de 5% dans certaines communes. Or, l’UDMF présentera des listes dans une cinquantaine de communes en mars 2020.

Après que Xavier Bertrand a demandé une modification de la Constitution, le sénateur Bruno Retailleau a déposé une proposition de loi tendant à assurer le respect des valeurs de la République face aux menaces communautaristes le 8 novembre 2019. Celle-ci vise à lutter contre les listes électorales qui contreviendraient « aux principes de la souveraineté nationale, de la démocratie ou de la laïcité en soutenant les revendications d’une section du peuple fondées sur l’origine ethnique ou l’appartenance religieuse ». Il s’agit pour Bruno Retailleau:

  • d’encadrer les titres (intitulés) que peuvent se donner les listes
  • d’interdire de tenir des propos ou de distribuer des écrits répondant à la définition précitée dans des lieux publics
  • de donner au préfet le pouvoir de faire retirer les affiches et autres documents
  • de donner au préfet la faculté de demander au juge d’exclure des candidats et des listes
  • d’empêcher que l’aide publique puisse être versée à ces partis
  • d’imposer aux élus locaux le respect de l’obligation de neutralité religieuse, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : un élu peut parfaitement se présenter en tenue religieuse au Parlement ou dans une assemblée locale telle qu’un conseil régional.

Si la question de la lutte contre le communautarisme est bien réelle, ce texte soulève des difficultés juridiques non négligeables. Il serait même sans précédent, dans la mesure où il n’existe en droit électoral aucune restriction à la liberté de candidature fondée sur des critères d’opinion. Dans ce cas-ci, il y a toutes les raisons de croire que cette proposition de loi est inconstitutionnelle car elle limite trop fortement la liberté d’expression. Or la liberté d’expression fait l’objet d’une protection renforcée par le juge constitutionnel en matière électorale : toute restriction doit être particulièrement justifiée et proportionnée à l’objectif qui est poursuivi.

De ce point de vue, le texte proposé par Bruno Retailleau ne répond pas aux exigences du Conseil constitutionnel : les motifs justifiant l’interdiction sont soit inefficaces (aucune liste ne soutiendrait officiellement la remise en cause de la souveraineté nationale), soit trop larges (la référence à la démocratie vise en réalité, d’après l’exposé des motifs, le principe d’égalité entre hommes et femmes), soit peu pertinents (si la laïcité impose la neutralité de l’État, elle n’empêche pas l’expression religieuse de candidats à des élections). Il en résulte que cette loi serait considérée comme entravant trop la liberté d’expression, faute de définir de façon suffisamment précise les hypothèses visées par l’interdiction. Pour le dire autrement, l’interdiction est trop vague, ce qui crée une insécurité juridique pour le citoyen. Ce texte pose aussi un problème de proportionnalité, dans la mesure où les interdictions sont absolues et que les pouvoirs donnés à l’administration semblent très excessifs. En somme, le Conseil constitutionnel censurerait une telle loi.

Reste un vrai problème : il n’existe pas dans notre Constitution de fondement permettant de lutter contre le communautarisme. Le Président de la République a affirmé lors du Congrès de l’Association des maires de France qu’il ne serait pas légiféré sur ce point. Il est en effet préférable de mieux appréhender la question sur le plan politique, avant de se lancer dans des aventures hasardeuses sur le plan du droit.

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