Rémi Noyon, CC 2.0

Marine Le Pen dénonce la “condamnation du délit d’opinion au nom de la défense des minorités”

Création : 14 mai 2019
Dernière modification : 20 juin 2022

Autrice : Anne Clémence Drouant, juriste, sous la direction de Tania Racho, docteure en droit

Source : Manifeste « L’alliance européenne des nations », pp. 11 et 29, Rassemblement National, 13/04/2019

Il est faux d’affirmer que l’Union donne son assentiment aux décisions de la CEDH alors qu’elle n’a pas ce pouvoir : ces décisions s’imposent au 47 membres du Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne fait qu’en tenir compte, sans pouvoir s’y opposer. Cela revient à entretenir une confusion entre les deux systèmes juridiques.

« L’alliance européenne des nations » : ce manifeste du Rassemblement National présenté par Marine Le Pen affirme que « avec l’assentiment ou la passivité de l’Union Européenne se met en place un système juridique européen qui tend au nom de la défense du droit des minorités à porter atteinte aux droits des citoyens, des femmes ou des Nations. Pour satisfaire des demandes de religieux radicaux, ressurgit de décision de justice la condamnation du blasphème qui n’est rien d’autre qu’un délit d’opinion. Comme dans tous les régimes aux abois, la tentation de contrôler les expressions libres notamment sur internet fait peser de lourdes menaces sur la liberté des citoyens. »

Le RN critique l’Union européenne en lui reprochant des décisions de justice qui viennent en réalité… de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et donc Conseil de l’Europe, pas de l’Union européenne. Ce n’est pas la première fois que le RN confond l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, entretenant la confusion entre et Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et CEDH.

Pour rappel, la Cour européenne des droits de l’homme, basée à Strasbourg, est une institution judiciaire qui émane du Conseil de l’Europe, organisation qui rassemble 47 États membres. Elle a pour but de promouvoir la démocratie et de protéger les droits de l’Homme. La CJUE, basée à Luxembourg, est l’organe judiciaire de l’Union européenne. Sa mission est d’assurer le respect du droit de l’Union (pour plus d’info…).

Or le manifeste se réfère ici à la Cour européenne des droits de l’Homme. En effet, il dénonce plus loin « d’inquiétantes complicités ou dérives permettent que des pays européens réintroduisent la sanction du blasphème sous couvert de lutte contre l’islamophobie (CEDH, ES/Autriche, 25 octobre 2018), excusent la remise en cause du droit des femmes ou tolèrent dans la société civile la loi de la charia (CEDH, Molla Sali/Grèce, 19 décembre 2018) ».

Ces décisions ont-elles les effets que le RN lui prête ?

S’agissant de la décision ES/Autriche, était en cause le fait d’avoir décrit Mahomet comme un pédophile. S’agissait-il de propos incitant à la haine et donc punissables ? La Cour européenne des droits de l’Homme n’a pas permis aux pays européens de réintroduire un délit du blasphème, mais seulement d’incitation à la haine. Au contraire, cette décision traduit la prudence de la CEDH, qui, face à un sujet sensible s’est contentée de renvoyer à l’appréciation des juridictions nationales, afin de prendre en compte les spécificités culturelles de chaque Etat. Si la CEDH a jugé que de tels propos visaient à démontrer que le prophète Mahomet n’était pas digne d’être vénéré, elle n’a pas condamné un blasphème, mais des propos incitant à la haine ou à l’intolérance religieuse (point 52 de l’arrêt). La CEDH rappelle d’ailleurs dans la même décision que toute communauté religieuse doit tolérer le fait que d’autres personnes contestent leurs croyances.

S’agissant de la décision Molla Sali/Grèce, nous avons déjà expliqué pourquoi non, la Cour européenne des droits de l’Homme n’ouvre pas la voie à l’application de la charia.

Quant à l’Union européenne, qui à en croire le RN donnerait son assentiment par son silence, il convient de relever que les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme sont reconnus et respectés par l’Union européenne, tout comme la France et 46 autres pays.

La seule nuance est que l’Union européenne n’est pas partie à la Convention EDH (c’est-à-dire qu’elle n’est pas membre du Conseil de l’Europe), même si les décisions de la Cour EDH sont observées et souvent prises en compte. Mais la prise en compte est volontaire car l’Union européenne est autonome par rapport au Conseil de l’Europe dont émane la Convention EDH.

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