Arthur Empereur, CC 4.0

Selon Laurent Nuñez : « En droit, il n’y a pas de moyen de contraindre » une personne de suivre un traitement psychiatrique

Création : 14 décembre 2023
Dernière modification : 29 décembre 2023

Autrice : Léa Lepoix, doctorante en droit pénal, Université de Lorraine

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteur : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal, Université de Lorraine

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, Sasha Morsli Gauthier

Source : BFM TV, 3 décembre 2023

Bien que la radicalisation religieuse ne soit pas une maladie psychiatrique, il existe bien des moyens de contraindre une personne radicalisée à suivre un traitement.

Invité sur le plateau de BFM TV, Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, a réagi quelques jours après une attaque qui a causé la mort d’un touriste allemand près de la tour Eiffel. L’individu en cause était particulièrement surveillé par la DGSI en raison de sa radicalisation islamiste. Il avait également bénéficié d’un suivi psychologique dans le cadre d’une injonction de soins prononcée par le juge. Ce suivi a pris régulièrement fin en août 2022. Le ministre de l’Intérieur qualifie cette affaire de « ratage psychiatrique« . Pourtant, l’extrémisme religieux n’est pas une maladie mentale selon la Classification internationale des maladies (CIM) publiée par l’OMS. 
En outre, il existe de nombreux dispositifs permettant de contraindre une personne à suivre un traitement psychiatrique, qu’elle ait ou non commis une infraction. Ces dispositifs peuvent par ailleurs concerner une personne qui serait considérée comme « radicalisée« .

Le cas des personnes présentant des troubles psychiques

Un individu « radicalisé » qui souffre, en plus, de troubles psychiatriques, peut, si son comportement compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte de façon grave à l’ordre public, être admis en soins contraints. La décision est prise par le préfet (article L3213-1 du code de la santé publique) ou le maire (article L3213-2 du même code). Cette admission donne lieu à une hospitalisation complète. 
En outre, les services de renseignement peuvent être informés de cette mesure s’il s’agit d’une personne concernée par une mesure de surveillance policière. 
En effet, le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), instauré par un décret du 5 mars 2015 (récemment modifié par un décret du 29 novembre 2023, volontairement non publié) peut être croisé avec le fichier HOPSYWEB (qui recense les données relatives aux personnes faisant l’objet de mesures de soins psychiatriques sans consentement). Imaginé à la suite des attentats de 2015, le FSPRT vise à surveiller toutes les personnes exprimant une opinion radicale qu’elle soit spirituelle ou militante, ou ayant été en contact avec une personne déjà fichée. Il contient des informations telles que le nom, prénom et date de naissance des personnes surveillées (Assemblée nationale, Rapport d’information sur les services publics face à la radicalisation, 27 juin 2019).

Ainsi, HOPSYWEB, qui est à l’origine d’un logiciel administratif, s’est mué depuis quelques années en une sorte de « casier psychiatrique«  sur le même modèle que le casier judiciaire. Il comprend entre autres : la date de naissance du patient, son sexe, le code postal de son lieu de résidence et du lieu où les soins sont effectués (article 2 du décret n° 2019-412 du 6 mai 2019).

Toutes les vingt-quatre heures et à chaque nouvelle entrée sur HOPSYWEB et le FSPRT, un croisement automatique est effectué avec les noms, prénoms et date de naissance des personnes enregistrées. En cas de concordance des données comparées, l’autorité de police est informée. Est alors déclenchée une procédure de levée de doute visant à s’assurer qu’il s’agit effectivement de la même personne (décret n° 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement).

En résumé, non seulement un individu radicalisé souffrant de troubles psychiatriques peut être contraint à subir des soins du fait de ses troubles (et pas de sa radicalisation), mais les services de renseignement policier auront connaissance de sa situation.

 Le cas des personnes déclarées pénalement irresponsables

Il faut ajouter à cela qu’une personne qui commet un délit ou un crime peut subir des soins sans consentement alors même qu’elle n’est pas responsable pénalement (article 706-135 du code de la santé publique). Si toutefois les autorités judiciaires ne prononcent pas d’obligation de soins, elles en avisent immédiatement le représentant de l’État dans le département qui ordonne sans délai la production d’un certificat médical circonstancié portant sur l’état actuel du malade. L’objectif de ce mécanisme est d’ordonner directement une admission dans une unité pour malades difficiles (article L3213-7 du code de la santé publique).

 Le cas des personnes condamnées

Lorsqu’une personne commet une infraction et qu’elle est condamnée, le juge peut prononcer une obligation de soins ou une injonction de soins. La première peut par exemple être décidée dans le cas d’un sursis probatoire (article 132-45 du code pénal) : ce sursis autorise le condamné à ne pas exécuter la peine prononcée, s’il respecte certaines obligations prévues dans le jugement, notamment de soins. La seconde s’applique notamment dans le cadre d‘une peine de suivi socio-judiciaire (article 131-36-1 du code pénal).

Cette peine de suivi socio-judicaire, qui s’ajoute à la peine d’emprisonnement, peut aller jusqu’à dix ans pour les délits et vingt ans pour les crimes, ou s’appliquer sans limitation de durée pour des crimes particulièrement graves.
Bien qu’il s’agisse d’une obligation prononcée par un juge, le condamné conserve son droit légal de consentir aux soins mais aussi de les refuser (article L1111-4 du code de la santé publique). Mais son refus éventuel n’est pas sans conséquence : son sursis probatoire peut être révoqué ou une peine d’emprisonnement peut être prononcée en cas d’inobservation de l’obligation de soins (trois ans en cas de condamnation pour délit et sept ans en cas de condamnation pour crime : article 131-36-1 du code pénal).
Enfin, le suivi socio-judiciaire comportant une injonction de soins peut également être prononcé contre l’auteur d’une infraction terroriste (article 421-6 du code pénal).
On le voit, contrairement à ce qu’affirme Laurent Nuñez, il existe différents moyens de contraindre une personne radicalisée qui souffre de troubles psychiatriques, à subir des soins psychiatriques.

A la suite de la parution de notre surlignage, le préfecture de police a tenu à répondre. Voici son communiqué, qui ne contredit en rien notre point de vue juridique :

« Ces éléments de droit ne sont nullement ignorés du préfet de Police qui confirme en revanche qu’aucun cadre juridique ne permet aujourd’hui à un préfet d’imposer une injonction de soins à un individu radicalisé souffrant de troubles psychiatriques et ne commettant pas de troubles à l’ordre public ou ne présentant pas un danger imminent ou n’ayant pas été condamné judiciairement. Le cadre juridique actuel exige le caractère cumulatif de l’existence de troubles de santé mentale et le fait que l’individu présente un danger pour lui-même ou pour autrui. Or, les services de renseignement sont très majoritairement confrontés à des situations ne répondant pas à ce double critère, d’où l’évolution souhaitée.

Par ailleurs, dans certains cas de figure, les préfets ne peuvent maintenir sous hospitalisation contrainte des individus. Par exemple, lorsqu’un médecin psychiatre propose la levée d’une mesure et en cas de désaccord du préfet, un deuxième avis médical est alors demandé. Si celui-ci est conforme au premier avis médical, le préfet doit alors lever la mesure. »

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