Selon Arnaud Montebourg, l’indemnité pour inflation de l’essence de 100 euros relève de la “corruption électorale”
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Alex Yousfi, juriste spécialisé en droit privé
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : Les Grandes Gueules (RMC), 3 novembre 2021
Il ne faut pas confondre “achat de voix”, qui est un délit consistant à offrir de l’argent ou des avantages en échange d’un vote favorable aux élections, et opportunisme politique consistant à aligner des politiques sociales sur le calendrier électoral, pratique qui n’a rien de nouveau.
Invité le 3 novembre dans l’émission Les Grandes Gueules, Arnaud Montebourg a déclaré : “Quand on restitue un chèque inflation de cent euros à trente-huit millions de Français, un mois avant l’élection présidentielle, c’est de la corruption électorale”. Par corruption électorale, le candidat à l’élection présidentielle a sans doute voulu dénoncer un “achat de voix”, puisqu’il a ensuite comparé cette situation avec celle d’un “maire finissant, pour moins que cela, au tribunal correctionnel” pour avoir “distribué un chèque avant l’élection”.
Le candidat de « la remontada” soulève un problème tout à fait sérieux. Toute personne soucieuse du bon fonctionnement démocratique et des déficits budgétaires ne peut que déplorer des mesures financières parfois jugées électoralistes, opportunément prises en fin de mandat à l’approche de l’élection présidentielle.
Faire la différence entre mesures électoralistes et corruption électorale
Arnaud Montebourg est toutefois allé plus loin que cette considération politique de bon aloi, en affirmant que l’action du gouvernement était “illégale”. Pourtant, il y a bien une différence entre l’opportunisme politique consistant à instaurer une ”indemnité inflation” de 100 euros pour contrer la perte de pouvoir d’achat des Français face à la flambée des prix, et ce qu’il appelle la “corruption électorale”. Il est important de comprendre la différence.
Il est interdit “d’acheter des voix”…
Un maire, par exemple, ne peut pas distribuer de chèques la veille de l’élection municipale pour influencer le vote alors qu’il se présente à sa propre succession. Le Code électoral interdit expressément cette pratique, même sur ses deniers personnels : “Quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d’emplois publics ou privés ou d’autres avantages particuliers, faits en vue d’influencer le vote d’un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d’obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l’entremise d’un tiers […] sera puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros”.
En pratique, la reconnaissance d’achats de voix, par le juge électoral, est rare selon le professeur Jean-Pierre Camby, professeur associé de droit public à l’Université Paris-Saclay, spécialiste en droit électoral.
Ainsi, n’est pas un achat de voix le fait d’envoyer un courrier, signé par le directeur général de l’urbanisme et des services techniques de la mairie, annonçant à plusieurs centaines d’habitants, occupant des logements sociaux, le reversement prochain d’une somme de 100 euros par habitation, en raison d’un trop perçu effectivement et exactement constaté par l’entreprise chargée du chauffage urbain, dans sa comptabilité. De la même manière, la distribution d’objets promotionnels (stylos, briquets, pin’s, t-shirts) n’est pas un achat de voix, lorsque cette distribution est réalisée sans distinguer entre électeurs ou non-électeurs, et à condition qu’elle ne soit pas assimilable, dans les faits, à une tentative d’influencer le vote.
Non seulement l’achat de voix est puni pénalement, mais il peut entraîner l’annulation de l’élection après-coup. Le juge administratif effectue un contrôle de la moralité de l’élection. Ce contrôle sert, selon le professeur Bernard Maligner, “à vérifier que des faits, qui ne sont pas nécessairement interdits, ni expressément autorisés, ni forcements constitutifs d’infractions à la législation électorale pénalement sanctionnés, n’ont pas vicié la libre volonté des électeurs”. Ainsi, le fait que des vieillards et des malades ont été conduits au bureau de vote dans la voiture d’un candidat, lui-même candidat à l’élection municipale, et qu’ils ont voté sous la surveillance d’employés de ce candidat, a pu être considéré comme une pression viciant la libre volonté des électeurs (décision du Conseil d’Etat du 23 février 1955).
… Mais pas de créer des allocations avant une élection
Telle qu’elle se présente, l’indemnité inflation de 100 euros bénéficie à l’ensemble des électeurs sous réserve d’entrer dans les critères de revenus. Elle constitue une mesure sociale certes très bien placée dans le calendrier électoral, mais qui ne saurait être considérée comme un “achat de voix” au sens du Code électoral. Cette indemnité inflation, qui bénéficiera aux personnes résidant en France dont le revenu mensuel est inférieur à 2 000 euros, ne peut être qualifiée de “don” ou “libéralité” en argent au sens du Code électoral. Elle s’insère dans une politique de lutte contre l’inflation. Elle a certainement vocation à amadouer l’électeur, mais elle n’est pas un chèque ayant pour objet direct d’influencer le vote des électeurs.
Si cette mesure peut être regardée comme électoraliste, parce qu’elle exploite opportunément la coïncidence entre la montée des prix et le calendrier électoral, elle ne correspond absolument pas à de l’achat de voix et n’est donc en rien illégale.
Contacté, Arnaud Montebourg n’as pas répondu à nos sollicitations.
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