Raphaël Glucksmann (tête de liste Place publique-PS) souhaite l’inscription de l’IVG dans la Charte européenne des droits fondamentaux
Republication d’un article du 22 mars 2024
Auteur : Gauthier Maës, master droit de l’Union européenne à l’Université de Lille
Relecteur : Christian Osorio Bernal, juriste et enseignant en droit des affaires européennes et internationales à l’Université de Lille
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : France 24, 10 avril 2024
Pour intégrer l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il faut nécessairement l’accord de tous les autres Etats membres. De plus, l’efficacité de cet ajout sera moindre car la santé n’est pas une pleine compétence de l’UE. Un moyen efficace de protéger l’IVG serait de l’inscrire dans la Convention européenne des droits de l’Homme. Encore là, un vaste chantier…
Le deuxième débat en vue des élections européennes, qui se tiendront du 6 juin au 9 juin, a lieu ce soir, sur RFI et France 24. Les 8 têtes de liste invitées sont venues défendre leur programme. Seul Jordan Bardella, chef de file du Rassemblement National, n’est pas présent.
Parmi les axes principaux de son programme, Raphaël Glucksmann, tête de liste Place publique – PS, souhaite l’inscription de l’IVG dans la Charte européenne des droits fondamentaux. Une entreprise difficile.
Bien que l’IVG – si elle est légalement pratiquée – ne soit plus sanctionnée dans aucun des États membres de l’Union européenne, elle reste un sujet sensible expliquant les disparités des conditions d’accès à travers le continent. En effet, tant pour les délais d’IVG que pour les motifs reconnus par la loi, les différences sont parfois considérables. À titre d’exemple, la Pologne permet l’exercice de ce droit qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère : toute infraction est passible d’une sanction pénale pouvant aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement. Inversement, la France n’exige pas de motif depuis 2014. Il sera donc difficile de trouver une formule consacrant la liberté de recourir à l’IVG qui satisfasse tous les États membres.
La Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne a été proclamée le 7 décembre 2000 à Nice, l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009 lui confère une valeur contraignante. L’article 51 de la Charte précise qu’elle s’impose aux institutions et organes de l’Union dans toutes leurs actions, ainsi qu’aux États membres, mais uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. C’est donc cette Charte qu’il faudrait modifier, ce qui n’a rien de simple.
Une procédure de révision complexe
Au niveau de l’Union, ce n’est pas la première fois que la volonté d’inclure le droit de recourir à l’avortement est évoquée. En 2022, une résolution ayant pour objet d’insérer un droit « à un avortement sûr et légal » dans l’article 7 de la Charte avait déjà été votée par le Parlement européen. Mais les résolutions ne sont pas contraignantes, et ne font qu’exprimer un avis (article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’UE).
L’insertion de la liberté de recourir à l’IVG dans la Charte nécessite un vote à l’unanimité du Conseil européen après consultation du Parlement européen et de la Commission européenne. L’unanimité des 27 États membres est donc nécessaire.
De plus, la législation de certains États membres prévoit, en amont ou en aval, au niveau national, l’approbation du Parlement national avant que le gouvernement puisse accepter toute modification des traités européens. C’est d’ailleurs le cas pour la France, dont la Constitution exige une approbation du Parlement (article 53).
Une unanimité exigée mais loin d’être acquise
Plusieurs États membres de l’UE sont réticents à l’idée de faciliter l’accès à l’avortement. C’est le cas, notamment, de la Hongrie ou de Malte, dont la législation en la matière est très restrictive. Il semble dès lors compliqué d’obtenir les voix de ces pays pour réviser la Charte.
Pour quels effets ?
À supposer même que la Charte soit révisée, quels en seraient les effets, dès lors que l’Union européenne a des compétences très restreintes en matière d’IVG ? Le domaine de la santé relève principalement des États membres, même si l’Union en régit certains pans comme la promotion de l’accès à des services de santé. De plus, l’Union n’intervient dans ces domaines que pour compléter les législations nationales lorsque les objectifs peuvent être mieux réalisés à son niveau.
Si la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a déjà eu l’occasion de traiter certaines questions liées à l’avortement, c’était pour le qualifier de « service » au sens des textes sur la libre circulation au sein de l’Union. Il s’agissait de faciliter l’accès à l’IVG dans un État membre aux personnes établies dans un autre État membre. Ainsi, l’inscription de l’IVG dans la Charte ne peut en aucun cas obliger les États qui ne le souhaitent pas à faciliter les règles d’accès à l’IVG.
Inscrire l’IVG dans la Convention européenne des droits de l’homme ?
S’il fallait garantir l’accès à l’avortement au niveau européen, un moyen efficace serait sa protection par la Cour européenne des droits de l’homme, en amendant la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), comme cela a été fait avec la peine de mort. Mais cela ne lierait que les États qui l’acceptent. Et là encore, il y aurait des oppositions : Andorre, par exemple, est partie à la CEDH et pénalise toujours l’avortement.
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