Quand le transfert de la “compétence eau” vers les intercommunalités deviendra-t-il obligatoire ?

Création : 13 février 2020
Dernière modification : 20 juin 2022

Auteurs : Gianni De Georgi et Baptiste Duverger, étudiants à Sciences Po Saint-Germain, sous la direction de Camille Morio, maîtresse de conférences en droit public à Sciences Po Saint-Germain

Depuis la loi NOTRe de 2015, la question du transfert obligatoire de la compétence eau des communes vers les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI ou intercommunalités) agite et inquiète les maires de communes rurales. Alors que, depuis 2015, l’Assemblée nationale et le Sénat cherchent un compromis, la Ministre Jacqueline Gourault  expliquait en décembre dernier devant des maires du Loir-et-Cher que « c’est une compétence qui doit s’exercer au-delà des communes ». Depuis 2015, des évolutions législatives viennent chambouler le calendrier du transfert de cette compétence. Face aux enjeux électoraux, un éclairage s’impose.

Qu’est-ce que la « compétence eau » ?

La compétence eau est la gestion de l’eau potable et de l’assainissement. La compétence eau potable, définie à l’article L 2224-7 du code général des collectivités territoriales (CGCT), correspond à la distribution de l’eau potable aux usagers, c’est une mission obligatoire exercée par la commune ou l’EPCI . En parallèle la production, le transport, le stockage de l’eau potable en amont de sa distribution sont des missions facultatives. La compétence assainissement est également divisée en deux volets : l’assainissement collectif, c’est-à-dire le traitement des eaux usées des immeubles raccordés au réseau public de collecte qui est une compétence obligatoire exercée par la commune ou l’EPCI et l’assainissement non collectif qui consiste à traiter les eaux usées collectées par des dispositifs individuels de type fosse septique.

Une compétence majoritairement exercée par les communes avant 2015

Avant 2015, l’acteur central était la commune : 70% des services publics de l’eau et de l’assainissement étaient exercés par les communes mêmes. Toutefois, les communes membres des intercommunalités rurales (communauté de communes et communauté d’agglomérations) confiaient souvent la gestion de l’eau à l’intercommunalité, faute de moyens propres. Les communes faisant partie d’une intercommunalité urbaine ou d’une métropole avaient déjà perdu la compétence sur la gestion de l’eau, qui revenait obligatoirement à ces intercommunalités.

Basculement programmé vers les intercommunalités avec la loi NOTRe de 2015

Depuis les années 2000, des rapports du Conseil d’État et de la Cour des comptes se sont montrés critiques envers la gestion de l’eau sur le territoire français. Le gaspillage dans l’acheminement de l’eau (fuites du réseau à hauteur de « un litre sur quatre voire un litre sur deux » selon Jacqueline Gourault) viendrait de l’éparpillement de la « compétence eau » entre collectivités territoriales, mais aussi entre missions différentes (eau potable et assainissement séparés). La loi NOTRe avait pour ambition de mettre un terme à cette situation par deux leviers : d’abord en rendant obligatoire le transfert de la compétence eau vers les communautés de communes et les communautés d’agglomération à partir du 1er Janvier 2020 ; ensuite en fusionnant les compétences eau potable et assainissement. L’objectif fixé par la loi était de passer de 35 000 autorités gestionnaires de l’eau à moins de 3 000 en 2020.

Résistance des communes rurales, déprogrammation partielle du basculement 

Les maires ruraux ont mal accueilli cette décision pour plusieurs raisons. D’abord, ils perdent une compétence stratégique au profit d’un EPCI au sein duquel ils ont parfois du mal à se faire entendre. Ensuite, ils estiment que cette concentration de la compétence eau au sein de l’intercommunalité ne correspond pas toujours aux logiques des territoires. En effet, au sein de certains EPCI ruraux, de fortes différences peuvent se présenter entre les besoins en eau des communes. Par exemple, en montagne, l’importance de l’eau pour le déneigement ou le fonctionnement des canons à neige ne touche pas forcément toutes les communes d’un même EPCI. Il en est résulté des contestations, qui ont abouti à un compromis par la loi du 3 aout 2018. Cette loi prévoit que les communes des communautés de communes peuvent former des minorités de blocage (25 % des communes de l’intercommunalité représentant 20% de sa population) afin de repousser le transfert de cette compétence au 1er janvier 2026. Cette minorité de blocage devait être formée avant le 1er juillet 2019.

Une loi du 27 décembre 2019, a repoussé le délai pour former cette minorité de blocage au 1er janvier 2020). Surtout, cette loi a autorisé les communautés de communes et les communautés d’agglomération à rendre une partie de l’exercice de cette compétence aux communes via des conventions particulières. La compétence eau est ainsi de nouveau éparpillée, allant à l’encontre des préconisations initiales.

En résumé, une compétence qui reste dispersée

On observe trois situations différentes.

D’abord, pour les communes qui n’exerçaient plus la compétence eau avant même la loi NOTRe, alors leur situation reste inchangée (EPCI urbains majoritairement). La compétence eau revient aux EPCI.

Ensuite, pour les communes appartenant à des communautés de communes ou communauté d’agglomération qui n’ont pas signalé de minorité de blocage avant le 1er janvier 2020, l’exercice de la compétence eau a été automatiquement transféré aux intercommunalités au 1er janvier 2020. Dans ces intercommunalités, les EPCI peuvent néanmoins, via des conventions particulières, redonner une des quatre prérogatives de la compétence eau aux communes qui la composent.

Enfin, les communes appartenant à des intercommunalités où une minorité de blocage s’est manifesté avant le 1er janvier 2020 auront jusqu’au 1er janvier 2026 pour préparer le transfert de cette compétence.

Curieuse coïncidence ou hasard ? 2020 et 2026 sont des années d’élections municipales et communautaires : en repoussant le transfert de la compétence eau d’une échéance électorale à l’autre, le Parlement s’est condamné à ne pas trancher cette question de sitôt.

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