Rémi Noyon, CC 2.0

Marine Le Pen déplore que l’apologie du terrorisme ne permette pas de révoquer le statut de réfugié

Création : 2 mars 2021
Dernière modification : 21 juin 2022

Autrice : Manon Chavas, étudiante, master droit européen des droits de l’Homme à l’Université Jean Moulin Lyon 3, sous la direction de Tania Racho, docteure en droit européen, Université Paris II Panthéon-Assas

Source : Compte Twitter de Marine Le Pen, le 23 février 2021

Quand on est députée, ce qui est stupéfiant ce n’est pas la jurisprudence d’un juge qui applique fidèlement la loi, mais de ne pas voir que c’est la loi qui interdit en réalité de retirer le statut de réfugié. Mais la loi peut se modifier et c’est l’un des rôles des députés.

Marine Le Pen s’est exprimée ainsi en prenant connaissance d’une récente jurisprudence du Conseil d’État qu’elle qualifie de “stupéfiante” car le statut de réfugié a été maintenu en faveur d’une personne condamnée pénalement pour apologie du terrorisme. Le juge avait appliqué fidèlement la loi. 

Le Conseil d’État a en effet considéré que le statut de réfugié ne pouvait être retiré à un individu pour apologie du terrorisme. C’est ce que déplore Marine Le Pen. 

Pourtant, d’après la loi même, le statut de réfugié ne peut être retiré à un individu qu’à deux conditions cumulatives (c’est-à-dire devant toutes deux êtres réunies), à en croire le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (article L.711-6) : 

  • lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l’État dans lequel il se trouve 
  • et lorsqu’il a été condamné en dernier ressort soit pour un crime soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement 

Or l’apologie du terrorisme est passible d’un maximum de deux ans d’emprisonnement (article 421-2-5-2 du Code Pénal) et ne constitue pas en soi un acte de terrorisme ; seuls les actes de terrorisme en tant que tels sont des crimes ou délits passibles de minimum dix ans d’emprisonnement. 

Donc, selon le Conseil d’État, si la première condition était bien remplie (la menace pour l’ordre public), la seconde, relative à la condamnation à dix ans d’emprisonnement ou à la commission d’un acte de terrorisme, ne l’était pas. D’autant que le Conseil Constitutionnel ne considère pas non plus l’apologie du terrorisme comme un acte de terrorisme. La loi même interdisait donc de retirer le statut de réfugié à l’intéressé. 

Ce n’est donc pas le juge qui a décidé qui pouvait ou non se voir retirer son statut de réfugié : c’est la loi, fidèlement appliquée. Ainsi, les députés RN n’ont qu’à rédiger des propositions de loi tendant à rendre notre code des étrangers plus sévère. Mais problème : la loi française intervient en application du droit de l’Union européenne (article 78 TFUE et article 18 Charte des droits fondamentaux de l’UE), lequel applique la Convention de Genève sur les réfugiés. 

Une directive européenne, appelée “qualification”, précise les possibilités de retrait du statut de réfugié (article 14 §4) : 1/ lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve ; 2/ lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre.

On remarque que c’est bien la loi française qui a traduit la notion européenne de “crime particulièrement grave” par “un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement” (article L 711-6 cité plus haut). Libre donc aux députés RN de proposer la modification de la loi, par exemple en permettant de retirer le statut de réfugié à un individu puni d’une peine d’emprisonnement de deux ans seulement, voire moins. Et le juge suivra car c’est son rôle, sauf s’il estime que la loi française dénature le droit européen (le droit européen primant sur le droit national). Autrement dit, tout dépend de ce qu’on entend par “crime particulièrement grave” et de ce que le Conseil constitutionnel (qui contrôle la loi au regard de la Constitution) en dira. A vos plumes, mesdames et messieurs les député(e)s RN. 

Contactée, Marine Le Pen n’a pas répondu à nos questions.

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