La rapporteuse de la chambre disciplinaire estime que le comportement du docteur Didier Raoult relève du “charlatanisme”
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : Le Monde, 5 novembre 2021
S’il ne nous appartient pas de faire œuvre de divination en prédisant la sanction qui frappera Didier Raoult une fois que la chambre disciplinaire de l’ordre régional des médecins aura délibéré, le reproche de charlatanisme surprend toutefois dans le contexte de brouillard complet qui caractérisait le monde médical. Reste à évaluer le comportement de l’intéressé une fois ce brouillard dissipé et qu’une stratégie de lutte contre la pandémie a pu être définie.
Vendredi 5 novembre, le professeur Didier Raoult était convoqué en audience pour, entre autres faits, avoir prodigué et pratiqué des soins non conformes aux données acquises de la science. Selon la rapporteuse, ces soins s’apparentent à du “charlatanisme”. On rappellera qu’un rapporteur propose une qualification des faits, mais que seule la juridiction, au terme de son délibéré, décidera si elle sanctionne ou pas sur ce fondement.
Les notions de soins non conformes ou charlatanesques
En prônant et pratiquant des soins qui n’ont pas reçu l’onction du monde médical, un médecin risque plusieurs qualifications (la qualification étant la traduction juridique des faits, qui permet d’appliquer la sanction adéquate prévue par les textes).
La première qualification est celle de pratiquer des soins non conformes aux données acquises de la science. Ce sont souvent des erreurs médicales, commises par des médecins peu consciencieux, mal formés ou s’aventurant au-delà de leurs compétences. Ces erreurs donnent parfois lieu à des radiations temporaires, plus souvent à de simples blâmes.
La seconde est celle consistant à divulguer dans les milieux médicaux ou auprès du grand public des procédés ou traitements “insuffisamment éprouvés, sans accompagner leur communications des réserves qui s’imposent”. On serait ici plus proche des faits tels qu’ils sont relatés par la presse (nous n’avons pas accès au dossier bien entendu), avec des interviews notamment prônant les méthodes en cause. On n’est pas ici dans le soin stricto sensu, mais dans la communication sur des méthodes de soins.
La troisième qualification serait donc le charlatanisme. Selon le Code de déontologie médicale “ les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite”. Quelques exemples de médecins condamnés par l’ordre : la “contre-indication absolue et définitive de toute vaccination” pour des enfants (radiation d’un an dont 6 mois avec sursis, 2017) ; l’examen “énergétique en recherchant des valeurs de fréquences et en étudiant les pouls afin de trouver des points de traitement auxquels le médecin applique un traitement fréquentiel” (radiation d’un an, sursis de 9 mois, 2018), la “recherche du caractère à partir du groupe sanguin” (radiation d’un an dont 6 mois avec sursis, 2015), un “miracle minéral supplément” guérissant notamment “le sida, les hépatites A, B et C, le paludisme, l’herpès, la tuberculose, la pneumonie, ainsi que la plupart des cancers” (radiation définitive, 2014), et ainsi de suite.
Le charlatanisme éloigne le patient des traitements éprouvés
Le charlatanisme se caractérise donc triplement : d’abord, il repose sur des méthodes “illusoires”. Ensuite, ces méthodes sont vantées à la façon d’un “crieur de marché” (à l’origine, en italien, du mot charlatan). Enfin, le charlatan éloigne son patient des procédés éprouvés qui pourraient améliorer son état de santé, et lui fait donc courir un risque injustifié. Or un médecin ne doit sous aucun prétexte “faire courir au patient un risque injustifié”. Cette qualification ne pourrait fonctionner qu’une fois acquise la certitude que les traitements pratiqués par le docteur Raoult étaient illusoires et éloignaient ses patients des traitements reconnus. C’était loin d’être le cas au début de la pandémie.
Peut-on parler de charlatanisme quand tout le monde médical patauge ?
Il faudrait donc analyser les pratiques de l’intéressé une fois que le consensus scientifique a été établi sur les méthodes de prévention et de traitement possibles contre le Covid-19, que le choix médical s’est porté sur certaines d’entre elles, et que les gouvernements les ont ensuite fait appliquer. Ce qui suppose de déterminer à quel moment ce consensus a été établi. Sachant que, confusion fréquente, consensus ne signifie pas unanimité, mais absence d’opposition scientifiquement démontrée. Il est donc inutile d’invoquer le fait que l’hydroxychloroquine serait d’usage courant dans des pays où la médecine est peu avancée ou entravée, et où les statistiques sur son efficacité sont inexistantes.
Enfin, comme le code de déontologie comporte des qualifications assez élastiques, on ne peut exclure qu’à partir des mêmes faits d’autres s’ajoutent aux trois que nous venons de citer.
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