Affaire Raoult : rififi entre médecins autour de la confraternité

Création : 27 novembre 2020
Dernière modification : 21 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur à l’Université de Paris-Saclay

Autre effet secondaire de la covid-19, la guerre des médecins est déclarée. Dans l’ordre chronologique des différentes offensives : 1/ l’Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône poursuit le professeur Didier Raoult sur plainte de la société de pathologie infectieuse de langue française. 2/ Le même Ordre s’associe aux plaintes et signalements de plusieurs médecins et patients des Bouches-du-Rhône. 3/ Le professeur Raoult réplique, d’abord contre le docteur Guillaume Gorincour, vice-président du conseil de l’Ordre des Bouches-du-Rhône, chargé de la communication et de la déontologie : ce dernier se serait comporté de façon partiale alors qu’en tant que conseiller ordinal, investi d’une mission de service public, il est astreint à un devoir de réserve. Ensuite contre le directeur de l’APHP, Martin Hirsh, devant cette fois le parquet de Paris, à propos d’une de ses déclarations devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Enfin contre le docteur infectiologue Karine Lacombe, pour ses propos tenus sur France 2 en plein premier confinement.

Critiquer une thérapeutique n’est pas contraire à la confraternité

Nous avons déjà évoqué aux Surligneurs les plaintes lancées contre le professeur Raoult. Les plaintes de ce dernier contre ses confrères portent sur le manquement au devoir de confraternité. Celle contre le docteur Lacombe nous retiendra ici : selon le code de déontologie médicale, “Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité”. Ce devoir comporte bien des implications, dont celle de ne jamais dénigrer un confrère, face à un patient ou publiquement. On recense des exemples de médecins sanctionnés pour avoir porté atteinte à la réputation d’autres médecins, ce qui s’est traduit par des interdictions d’exercer d’un ou plusieurs mois. Inversement, un médecin peut tout à fait user de sa liberté de d’expression, par exemple pour critiquer certaines pratiques de façon générale, qu’il croit contraires à la déontologie ou aux impératifs de santé. Le Conseil d’État, qui intervient en cassation sur le conseil de l’Ordre, veille à ce que ne soient jamais sanctionnés ces propos, dès lors qu’ils restent “formulés en termes impersonnels”, “sur un thème d’intérêt général”, sans “excéder les limites que le devoir de confraternité justifie d’apporter à la liberté d’expression des médecins” (décision du Conseil d’État de 2016 à propos d’un médecin qui déplorait la disparition progressive de la pédiatrie, alors que, selon lui, les pédiatres “soignent mieux et moins cher” que les généralistes : blâmé par l’Ordre, le Conseil d’État a annulé ce blâme). Ne sont donc pas contraires au devoir de confraternité les controverses médicales, dès lors qu’elles portent sur les seules stratégies thérapeutiques ou méthodes.

Critiquer personnellement un confrère est contraire à la confraternité

Ce que le devoir de confraternité interdit, ce sont donc les mises en cause personnelles, que le but soit de nuire ou pas, car elles sèment le trouble chez les patients et déconsidèrent toute la profession. Était-ce cas des propos du docteur Karine Lacombe lors de cette interview sur France 2 que lui reproche son confrère Didier Raoult ? Elle n’y a jamais nommé le professeur Raoult, mais elle a fait allusion aux “scientifiques de renom comme les collègues de Marseille”. Elle a vigoureusement critiqué les méthodes adoptées par ce scientifique de renom, se disant “écœurée par ce qui se passe … à Marseille… et qui est scandaleux”. Elle a déploré le fait “qu’on expose les gens à un faux espoir de guérison” (ce qui relève du charlatanisme, faute déontologique extrêmement grave voire ultime), par des agissements “hors base scientifique correcte” et “en dehors de toute démarche éthique”.

Ces propos sont inhabituellement polémiques et même acerbes, alors même que les mots sont pesés et impersonnels. Mais on sait qui ils visent, le contexte ne se prête à aucun doute. C’était en mars 2020, dans un contexte des plus tendus. Le docteur Lacombe s’est-elle emportée au-delà de ce qu’autorise la déontologie ? Nous n’avons pas qualité pour anticiper la décision de l’Ordre, d’autant qu’il y aura d’abord tentative de conciliation et donc peut-être jamais de jugement.

Quand une thérapeutique s’identifie à un confrère…

Mais constatons : d’un côté, des propos vifs et impersonnels, portant sur une stratégie thérapeutique et des méthodes. De l’autre, un professeur qui, peut-être à son corps défendant, incarne cette stratégie thérapeutique aux yeux désormais du monde entier. Si le docteur Lacombe avait critiqué dans les mêmes termes une stratégie et une méthode adoptées par de nombreux confrères inconnus, l’Ordre aurait tout juste pu lui reprocher un ton exagérément polémique. Le problème est que dans ce contexte si polarisé, critiquer le traitement par l’hydroxychloroquine, c’est forcément critiquer le professeur Raoult…

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