La mairie de Paris suspend le versement de ses subventions à l’établissement catholique Stanislas
Dernière modification : 24 janvier 2024
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Raphaël Matta-Duvignau, maître de conférences en droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : Le Monde, 17 janvier 2024
Les subventions des collectivités territoriales envers les établissements d’enseignement privés sous contrat avec l’État sont des dépenses obligatoires. Les collectivités territoriales ne peuvent les suspendre sans que le contrat lui-même soit résilié ou non reconduit.
Faisant suite aux révélations relatives rapport public de l’Inspection générale de l’Éducation nationale sur l’établissement privé d’enseignement catholique Stanislas à Paris, la maire de Paris, Anne Hidalgo a annoncé que la ville supprimait ses subventions “à titre conservatoire, dans l’attente des clarifications requises de la part de l’État”. La mairie a précisé ensuite que serait suspendu “le paiement des prochaines échéances” à l’établissement pour l’année en cours, en attendant la lecture du rapport. Pour l’instant, il s’agit d’une annonce, et si elle devait être suivie d’effet, par une délibération du conseil de Paris ou un acte de la maire, ce serait illégal.
De quelle subvention parle-t-on ?
Selon le code de l’éducation (article L.442-5 et suivants), « les établissements d’enseignement privés du premier et du second degré peuvent demander à passer avec l’Etat un contrat d’association à l’enseignement public, s’ils répondent à un besoin scolaire reconnu ». Ce contrat donne droit, pour l’établissement, à une prise en charge forfaitaire de ses dépenses de fonctionnement par les collectivités territoriales, en fonction notamment du nombre d’élèves.
Pour le primaire (Stanislas dispense des enseignements de la maternelle à la terminale), ce sont les communes de résidence de l’élève (donc Paris et les autres communes de résidence des élèves) qui participent au financement, sous forme de “contribution” par élève scolarisé. Cette “contribution revêt le caractère d’une dépense obligatoire”, lorsque la commune de résidence ne dispose pas des capacités d’accueil nécessaires à la scolarisation de l’élève concerné dans son école publique. Si la ville de Paris est dans cette situation d’insuffisance de capacité d’accueil dans le parc d’écoles publiques, elle doit verser cette subvention.
Pour le collège, les dépenses de fonctionnement courant sont prises en charge de manière forfaitaire par les départements (et donc dans le cas de Paris… Paris qui est aussi un département). Cette participation prend deux formes : une contribution en fonction liée aux dépenses de personnels non enseignants. Une seconde contribution est calculée par rapport aux “dépenses de fonctionnement de matériel afférentes à l’externat des établissements de l’enseignement public”, à savoir le coût moyen d’un élève externe (article L. 442-9 du code de l’éducation) : c’est ce qu’on appelle le “forfait d’externat”). Ces contributions sont également obligatoires dès lors qu’il y a contrat d’association.
Pour le lycée, ce sont les régions qui assument ces deux mêmes contributions, obligatoires également.
Ajoutons enfin que certains contrats d’associations portent aussi sur les classes préparatoires, ce qui implique également des subventions des collectivités territoriales.
En quoi la suspension des versements est-elle illégale ?
L’établissement Stanislas se voit privé des apports financiers de Paris, malgré l’obligation légale de verser les subventions tant que le contrat d’association n’est pas résilié. Cette résiliation ne relève aucunement d’un pouvoir discrétionnaire de la ville de Paris en l’occurrence, mais de l’État seul, à l’issue d’une procédure contradictoire. Autrement dit, supprimer les subventions revient indirectement à résilier le contrat d’association, ce qui n’est pas dans les pouvoirs de la ville. C’est une sanction déguisée, voire un détournement de pouvoir. Le juge a eu plusieurs fois l’occasion de l’affirmer. En 2019, le président de la Région Hauts-de-France avait décidé de “bloquer le financement des investissements” du lycée privé musulman lillois Averroès, en attendant des éclaircissements sur les sources de financements étrangers de cet établissement. Il a fait passer cette décision par délibération du conseil régional. Par une décision prise en urgence (ordonnance n° 2101503 du 31 mars 2021, non publiée en ligne), le tribunal administratif de Lille a ordonné à la région de verser le forfait d’externat. Refusant de s’exécuter, le conseil régional des Hauts-de-France, suscitant une seconde ordonnance du tribunal administratif de Lille (n° 2104796 du 6 juillet 2021, non publiée en ligne), qui n’a pas eu plus d’effets sur la décision de la région, entraînant une troisième ordonnance (28 Juillet 2023 – n° 2009372, non publiée en ligne). Face à ce débiteur public récalcitrant, le lycée Averroès fera probablement jouer tous les outils que lui offrent le code de justice (injonctions de payer, astreintes) et les règles de la comptabilité publique : s’adresser au préfet qui au vu de la décision de justice pourra procéder directement au paiement sur le budget de la région (article L. 911-9 du code de justice administrative).
Il en irait de même pour l’établissement Stanislas si la Mairie de Paris persistait. Certes, un rapport apparemment négatif a été rédigé, dont on attend la publication. Mais ce rapport ne constitue qu’une étape d’une enquête administrative soumise au principe du contradictoire entre l’État et l’établissement d’enseignement, principe qui passe notamment par l’avis d’une commission de concertation (code de l’éducation, article L. 442-10)
Il appartient au seul ministre ensuite de prendre les mesures concernant le contrat le cas échéant. Mais ce n’est pas aux collectivités territoriales de tirer les conclusions de ce rapport par un retrait de subvention. Elles ne peuvent que demander à l’État de résilier le contrat (code de l’éducation, article L. 442-10). Après, seul l’État est compétent pour donner suite, au besoin en résiliant ou en refusant la reconduction du contrat d’association.
Les collectivités territoriales subventionnent bien des organismes à titre facultatif (notamment des associations à vocation sociale ou culturelle), et peuvent utiliser l’arme de la suppression de cette subvention pour sanctionner des comportements illégaux ou qui plus simplement ne répondent plus à un besoin local. À cet égard, la collectivité territoriale est libre. Mais dans le cas des établissements d’enseignement privé sous contrat d’association, c’est la loi qui prévoit la subvention et en fait une dépense obligatoire.
En somme, si l’établissement Stanislas conteste cette suspension de subvention en urgence devant le tribunal administratif de Paris, il y a toutes les chances qu’il obtienne gain de cause. Bien sûr, par la suite, si le contrat d’association entre l’État et l’établissement était résilié ou non reconduit en raison du non-respect du contrat d’association ou de principes du service public de l’éducation, il en irait tout autrement. En tout état de cause, ce n’est pas à la ville de Paris de prendre les devants.
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