Jean-Luc Mélenchon et son impôt sur les successions : “au-delà de 12 millions” de patrimoine hérité, “je prends tout”
Dernière modification : 30 mai 2023
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Ajout de l’identité du relecteur le 30 mai 2023 en raison de la mise en conformité avec l’article 2. 2. A du Code européen de fact-checking
Source : Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, 9 janvier 2022
Déjà que le Conseil constitutionnel a jugé en 2012 qu’un taux de 75 % était confiscatoire car contraire à la Déclaration des droits de l’homme, on ne pariera pas sur le succès d’une réforme créant une tranche de 100 %.
Jean-Luc Mélenchon a répété lentement devant les journalistes qui les interrogeaient : “au-delà de 12 millions” d’héritage, “je prends tout”, et je redistribue sous la forme d’une “allocation d’autonomie” de 1063 euros pour chaque étudiant ou apprenti. Il faudra pour cela passer sur le corps des conseillers constitutionnels, nous avions déjà expliqué pourquoi à propos d’une autre promesse de Jean-Luc Mélenchon, et d’un engagement de Sandrine Rousseau.
D’abord comprendre comment fonctionne l’impôt sur les successions.
La mesure prônée par le candidat La France Insoumise prendrait la forme d’une loi, modifiant le barème des droits de succession actuel. Ce barème est relativement complexe, car il tient compte à la fois du montant de la succession (les biens hérités), et du rang de l’héritier par rapport au défunt. Les héritiers en ligne directe (père, mère, fils, fille) sont les moins taxés, en particulier si le montant de l’héritage est mince. Si à l’inverse un contribuable a un cousin ou un oncle d’Amérique qui y a fait fortune et qui n’a pas d’autre héritier, alors un taux unique de 55 % sera appliqué, quel que soit le montant de la succession, voire 60 % pour les parents très éloignés (au-delà du 4° degré).
De plus, ce barème se calcule par tranches, comme l’impôt sur le revenu : il y a toujours une première tranche très basse, qui soit exonérée, soit donne lieu à un taux très bas (pour les héritiers en ligne directe, à moins de 8 072 euros, c’est 5%). À l’autre extrémité du barème, une tranche dite marginale (car la dernière et sans limite supérieure), la plus haute : actuellement, en ligne directe et au-delà de 1 808 677 euros, le taux marginal est de 45 %. Entre les deux, on trouve les tranches intermédiaires, avec des taux progressifs. Il existe actuellement sept tranches au total.
Cela signifie que celui qui hérite par exemple de 2 millions d’euros paiera 5 % sur la tranche basse (de zéro à 8 072 euros), 10 % sur la seconde tranche (de 8 073 à 12 109 euros), 15 % sur la troisième tranche (de 12 110 à 15 932 euros), etc., et 45 % sur la tranche allant de 1 805 678 à 2 000 000 d’euros. Il faut donc bien se garder de croire que l’impôt se monte à 45 % de 2 millions. Les 45 % ne pèsent que sur 974 322 euros (2 000 000 d’euros moins le montant de la tranche marginale, c’est-à-dire 1 805 678 euros).
Jean-Luc Mélenchon veut créer une nouvelle tranche marginale à 100 %
Ce micro-cours de droit fiscal des successions est rebutant on le concède, mais il était important pour comprendre la portée réelle de la proposition de Jean-Luc Mélenchon. La tranche marginale actuelle deviendrait une tranche intermédiaire entre 1 805 678 et 12 millions d’euros, avec un taux de 45 % ; au-delà de 12 millions, une huitième tranche, marginale, serait créée avec un taux de 100 % (“je prends tout”).
Et c’est tout le problème, du moins en droit fiscal et en l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : ce dernier juge qu’au-delà d’un certain montant, l’impôt peut devenir “confiscatoire”, et donc contraire à la Déclaration des droits de l’homme selon laquelle chacun contribue aux dépenses d’administration selon ses facultés (article 13). Cette jurisprudence du Conseil constitutionnel avait refait surface sous la présidence Hollande, en décembre 2012, lorsqu’il avait été question de créer une tranche marginale de 45 % pour l’impôt sur le revenu, à partir de 150 000 euros de revenu annuel (cette jurisprudence remonte en réalité à 1986, mais en 2012, elle portait sur une réforme phare).
Le raisonnement du Conseil constitutionnel est le suivant : selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme : “Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés”. Or cette exigence serait bafouée “si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives”.
À partir de quel taux un impôt devient confiscatoire ?
Ce serait trop simple si on pouvait avancer un montant ou un taux. Le montant d’un impôt est analysé par le Conseil constitutionnel au regard non seulement de son taux, mais aussi des autres impôts pouvant s’appliquer à la même matière imposable (c’est-à-dire aux mêmes biens). En 2012, ce n’est pas la tranche marginale de 45 % que le Conseil constitutionnel trouvait confiscatoire en soi : le problème était que pour certains revenus, cette tranche se cumulait avec d’autres prélèvements complémentaires, en particulier les prélèvements sociaux (comme la contribution sociale généralisée, CSG). Ce cumul portait le taux global (tous impôts confondus) à plus de 75 %, ce qui conduisit le Conseil constitutionnel à déclarer la loi inconstitutionnelle, car créant un système fiscal confiscatoire.
Alors quand Jean-Luc Mélenchon promet 100 % de tranche marginale, il y a fort à parier que le Conseil constitutionnel n’avalise pas une telle réforme. D’autant qu’il a depuis 2012 jugé qu’un taux de 77 % d’imposition sur les stock-options, ou de 82 % sur les plus-values immobilières, était confiscatoire.
Cette promesse serait d’autant plus confiscatoire qu’elle élargit démesurément l’avant-dernière tranche d’impôt sur les successions : par exemple, si une personne hérite de 100 millions, l’État lui prendrait donc 88 millions, rien que pour la tranche marginale de 100 % (100 millions moins 12 millions). À cela s’ajouterait un taux 45 % sur la tranche entre 1 805 678 et 12 millions (soit 45 % de 10 194 322, donc 5 504 933 euros). En somme, sur 100 millions, l’impôt s’élèverait donc déjà à plus de 93 millions, sans même appliquer les six tranches inférieures. Certes, on imagine qu’il fait bon vivre avec 5 ou 6 millions d’euros restants. Mais le taux total d’imposition serait assurément considéré comme confiscatoire.
D’autant que, enfin, Jean-Luc Mélenchon semble oublier que les héritages ne se composent pas que d’argent qui dort sur un compte bancaire, loin de là. Il s’agit le plus souvent de biens immobiliers, voire d’entreprises. Cela signifie que les héritiers devraient vendre leur maison familiale ou leur entreprise pour payer l’impôt, ce que la Cour de cassation considère également comme confiscatoire.
Contacté, Jean-Luc Mélenchon n’a pas répondu à nos sollicitations.
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