Jean Lassalle demande au Conseil constitutionnel de “lever la sanction infligée à la commune de Lourdios-Ichère”
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Jean-Pierre Camby, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah
Source : 20 minutes, 28 avril 2022
Difficile de semer la pagaille dans un bureau de vote et demander ensuite au Conseil constitutionnel de faire comme si de rien n’était. Ce sont bien les électeurs qui sont lésés car leur vote a été annulé, mais la loi doit s’appliquer. Ils peuvent toujours s’en prendre à Jean Lassalle, mais aussi au président du bureau de vote lui-même.
Candidat à l’élection présidentielle écarté au premier tour après un score jugé très honorable, Jean Lassalle entendait s’abstenir au second tour. C’était son choix de citoyen et il ne lui était pas interdit de le faire savoir à ses électeurs… mais pas dans le bureau de vote, avec une mise en scène filmée et diffusée aussitôt sur les réseaux sociaux. En annulant le scrutin de cette commune, le Conseil constitutionnel n’a pas sanctionné les électeurs de Lourdios-Ichère (Pyrénées-Atlantiques), ni la commune elle-même, il a seulement tiré les conséquences de l’irrégularité du scrutin que Jean Lassalle a lui-même provoquée. Non seulement il a enfreint la liberté des électeurs et le principe de dignité du scrutin, mais il n’est pas le seul fautif.
La dignité du scrutin, un principe juridique depuis le second tour Chirac-Le Pen de 2002
Le principe de dignité du scrutin ne figure nulle part dans le Code électoral, et pourtant c’est une règle juridique dégagée par le Conseil constitutionnel en 2002. Au second tour de l’élection présidentielle opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen, bien des électeurs et maires n’avaient guère goûté ce choix restreint, et furent tentés de manifester leur mécontentement.
Dans la commune de Villemagne (Aude), 210 électeurs étaient inscrits et 157 votèrent au second tour dans des conditions bien particulières : le maire avait placé, à quelques mètres de l’entrée du bureau de vote, un “dispositif symbolique de “décontamination””, selon les termes du Conseil constitutionnel, autrement dit, selon la presse de l’époque, un portique et un pédiluve pour les électeurs ayant soit voté pour Jacques Chirac, soit touché les bulletins de vote portant le nom de Jean-Marie Le Pen. Puis il organisa un simulacre de vote invitant les électeurs à désigner un candidat ne figurant pas au second tour. Résultat, tout le scrutin fut annulé par le Conseil constitutionnel, en raison d’agissement “incompatibles avec la dignité du scrutin et qui ont été de nature à porter atteinte au secret du vote ainsi qu’à la liberté des électeurs”. Les 157 bulletins glissés dans l’urne furent jetés aux orties.
Jean Lassalle n’est peut-être pas allé aussi loin dans l’outrance (d’ailleurs le maire de Villemagne fut suspendu quinze jours par la suite), mais il n’en a pas moins “porté atteinte au respect dû à la dignité des opérations électorales auxquelles il a participé en qualité de candidat au premier tour” selon le Conseil constitutionnel. “Ces agissements ont, eu égard à la notoriété de M. LASSALLE dans la commune de Lourdios-Ichère et à sa qualité de député et d’ancien maire, été de nature à altérer la sincérité du scrutin dans cette commune”, ce qui a valu l’annulation du scrutin de ce bureau de vote, soit 90 suffrages annulés. La démocratie, c’est sérieux, surtout à l’égard d’un candidat, au surplus député.
Le président du bureau de vote aurait dû intervenir
La vidéo postée sur les réseaux sociaux (reproduite par La Dépêche du 28 avril) montre une passivité coupable du président même du bureau de vote. D’abord, nulle trace du contrôle d’identité ni de la carte électorale de l’illustre électeur. Le Conseil constitutionnel a pourtant eu l’occasion de déclarer, dans la même décision et à propos du scrutin dans une commune du Nord (Ghyvelde) que ce n’est pas parce que, dans un village, tout le monde se connaît, que cela dispense des formalités de contrôle d’identité. Cette irrégularité suffisait en soi à faire annuler tout le scrutin.
Mieux encore, le président du bureau de vote a regardé très passivement la mise en scène se préparer puis se dérouler, sourire aux lèvres, sans réagir. Or, le Code électoral prévoit que “le président du bureau de vote a seul la police de l’assemblée” (autrement dit il maintient l’ordre dans son bureau de vote), et le même Code prévoit que le scrutin est secret, ce qui interdit à quiconque (donc y compris les électeurs) de faire connaître ses choix électoraux au sein du bureau de vote, que ce soit verbalement ou par tout autre comportement (par exemple, porter un t-shirt aux couleurs d’une liste ou d’un candidat). Le président du bureau de vote a donc doublement failli à sa fonction.
Quel risque pénal ?
Le Code électoral est sévère à l’égard de ceux qui troublent le jeu démocratique en tentant d’influencer le vote, que ce soit frauduleusement (par exemple faire courir de faux bruits) ou ouvertement. Le comportement de Jean Lassalle ne relève assurément pas de la manœuvre frauduleuse punie d’un an d’emprisonnement et/ou 15000 euros d’amende. Il n’a pas non plus menacé les autres électeurs (deux ans et/ou 15000 euros), ni commis de violences ou d’outrages de nature à retarder ou empêcher les opérations électorales (un an et/ou 15000 euros).
Reste que Jean Lassalle a enfreint, selon le Conseil constitutionnel, l’article L49 du Code électoral qui interdit de “diffuser ou faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale”. Cet article est sanctionné par une amende de 3750 euros à l’encontre de l’auteur des faits, en plus de l’annulation du scrutin lorsque celui-ci s’en trouve altéré.
La presse mentionne une autre piste, celle selon laquelle “quiconque (…) aura, par inobservation volontaire de la loi ou des arrêtés préfectoraux (…), violé ou tenté de violer le secret du vote, porté atteinte ou tenté de porter atteinte à sa sincérité, empêché ou tenté d’empêcher les opérations du scrutin sera puni d’une amende de 15 000 euros et d’un emprisonnement d’un an ou de l’une de ces deux peines seulement”. Mais ce texte vise surtout les personnes chargées d’organiser le scrutin. On attend donc d’en savoir plus sur les faits et ce que le parquet reproche exactement à Jean Lassalle.
Les électeurs lésés
Résultat, si les électeurs de la commune peuvent légitimement se sentir lésés, il faut comprendre pourquoi les irrégularités entraînent l’annulation de tous les votes d’un bureau. Imaginons le même incident à une échelle non pas nationale mais locale, lors d’une élection municipale d’une petite commune de quelques centaines d’habitants ou moins. Dans ce cas de figure, quelques bulletins glissés dans l’urne sous l’influence d’un seul électeur qui se permet de tels comportements, peuvent suffire à orienter artificiellement le résultat du scrutin. Il en résulte que le scrutin a été altéré et qu’il doit être annulé, pour de nouveau procéder à un vote après une nouvelle campagne : ce n’est que justice, à l’égard du candidat qui a été injustement battu, même si cela ne garantit pas qu’il sera élu lors du second vote.
À l’échelle nationale (l’élection présidentielle), il faudrait, en proportion, bien plus d’incidents pour altérer le scrutin. Le Conseil constitutionnel a repéré vingt-et-une irrégularités, et annulé près de 20 000 suffrages. Au regard du nombre de votants (plus de 37 millions), et de l’écart entre les deux candidats finalistes, les suffrages annulés n’ont pas pu peser. Mais si cet écart n’avait été que de 20 000 voix ?
Contacté, Jean Lassalle n’a pas répondu à nos sollicitations.
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