Le Premier ministre veut créer des « juges pénaux de proximité » pour réprimer efficacement les « petits délits » et « les délits dits contraventionnels »
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Alex Yousfi, étudiant en Master 2 de droit privé approfondi à l’Université de Lille, sous la direction de Jean-Paul Markus, professeur des universités en droit public
Source : France 2, 24 septembre 2020
Le premier ministre Jean Castex veut créer de nouveaux tribunaux, et d’emblée il entend leur confier une catégorie de « délits contraventionnels » qui n’existe pas. Une infraction, selon sa gravité, est soit un crime, soit un délit, soit une contravention, mais pas un « délit contraventionnel » que notre droit pénal ne connaît pas. À moins que le premier ministre souhaite aussi modifier le code pénal.
Invité le 24 septembre sur le plateau de l’émission de débat « Vous avez la parole », le Premier ministre Jean Castex a annoncé, entre autres mesures, la volonté du gouvernement de créer des « juges pénaux de proximité », afin que « les petits délits, et les délits dits contraventionnels soient effectivement et réellement sanctionnés ». A première vue, un problème : s’il existe bien des « petits délits », qu’une convention de langage nomme ainsi pour souligner leur moindre gravité sur l’échelle des peines, le Code pénal ne prévoit pas la catégorie des « délits contraventionnels ».
Des délits contraventionnels qui n’existent pas en droit…
Selon l’article 111-1 du Code pénal, « les infractions pénales sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions ». Dans l’esprit du législateur, cette trilogie tient compte de la gravité de la transgression. Ainsi, les crimes sont punis de la réclusion ou de la détention, à perpétuité ou à temps, d’une durée de trente, vingt ou quinze ans au plus, et de dix ans au moins (article 131-1 du Code pénal). Les délits sont punis d’une peine d’emprisonnement ou d’amende égale ou supérieure à 3 750 euros (article 381 du Code de procédure pénale). Enfin, les contraventions sont punies d’un maximum de 3 000 euros d’amende, ce qui correspond à une amende pour contravention de la cinquième classe, en état de récidive (article 131-13 du Code pénal) ; les contraventions étant elles-mêmes divisées en cinq classes, notamment, selon leur gravité.
Donc, le législateur ne reconnaît pas cette catégorie intermédiaire de « délits contraventionnels » que Jean Castex a invoqué. Il existe bien des « petits délits » (terme non juridique mais admissible) réprimés moins sévèrement que d’autres – par exemple : le fait de tracer des tags, sans autorisation préalable, sur le mobilier urbain, puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général en cas de dommage léger. Mais, il n’existe pas, en l’état actuel du droit, de « délits contraventionnels ».
… Mais seulement en pratique
Pourtant, une catégorie de « délits contraventionnels » a émergé dans la pratique. En effet, il arrive que le juge pénal déqualifie (c’est-à-dire transforme juridiquement) un délit en contravention, pour juger plus rapidement en vue de permettre une « bonne administration de la justice ». Cette pratique consiste à diminuer la portée juridique des faits commis, et donc à contourner en quelque sorte la loi pénale : les faits répréhensibles sont alors traités en contravention (avec une peine moins lourde), alors qu’ils devraient normalement être traités en délit. Cette déqualification est un outil de gestion de la justice. Le but : désengorger les tribunaux correctionnels saturés, au profit du tribunal de police, plus rapides à juger. Dans cette hypothèse, la notion de « délits contraventionnels », qui n’a pourtant aucune existence en droit, est couramment utilisée par la pratique judiciaire.
Prenons un exemple fictif : Une bagarre éclate dans un stade de football entre deux supporters, tous les deux entrés en état d’ivresse. L’article L. 332-4 du Code du sport prévoit jusqu’à un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pour ce type de comportement s’il en résulte une incapacité totale de travail (ITT). C’est donc un délit. Mais avec l’accord du ministère public et des prévenus, le tribunal de police pourra être saisi en se fondant sur l’article R. 625-1 du Code pénal qui réprime les violences légères ayant entraîné une ITT, sans état d’ivresse et en dehors d’une manifestation sportive. La peine encourue est certes moins lourde (une amende de 1500 euros, et des peines complémentaires comme le travail d’intérêt général), mais le jugement sera plus rapide.
Cette pratique de « contraventionnalisation judiciaire » est contraire à la loi. En théorie, le tribunal de police devrait refuser de statuer au fond en déclarant son incompétence (article 540 du Code de procédure pénale).
Pour résumer : le Premier ministre a invoqué une catégorie d’infractions que le Code pénal ne connaît pas, pour détailler la fonction des futurs « juges pénaux de proximité ». Seulement, la notion de « délits contraventionnels » fait l’objet, dans la pratique, d’un usage courant pour désigner les « délits contraventionnalisés » pour des raisons de « bonne administration de la justice ». Ce qui pourrait expliquer son utilisation par Jean Castex.
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