Intérêts et limites des commissions d’enquête parlementaires

Création : 4 février 2022
Dernière modification : 27 juin 2022

Auteur : Louis Lesigne, master d’études parlementaires et législatives, Aix-Marseille Université

Relecteur : Jean-Pierre Camby, professeur associé, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng

Les médias relaient régulièrement le travail des commissions d’enquête parlementaires. De l’affaire d’Outreau en 2005 à la concentration des médias en France en ce moment, en passant par l’affaire Cahuzac en 2013, les grandes crises politiques ont fait l’objet d’investigations parlementaires. Certains travaux ont même alimenté de véritables sagas comme l’affaire Benalla dès 2018.

Les commissions d’enquête réunissent, de façon temporaire, un ensemble de parlementaires à la proportionnelle des groupes politiques afin d’informer leur assemblée sur un sujet précis relatif à un service public, par exemple sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire en 2020, ou une entreprise nationale, par exemple avec le cas d’Alstom, Alcatel et STX entre 2017 et 2018.

Ces commissions participent à deux des missions constitutionnelles du Parlement : le contrôle de l’action du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. Elles peuvent avoir un rôle important dans le débat public et dans les grands scandales, comme l’affaire du sang contaminé qui fit l’objet d’une commission d’enquête au Sénat ou encore l’affaire Mediator ® dans la même chambre.

Comment sont constituées les commissions d’enquête ?

Le régime de la création d’une commission est le vote d’une résolution dans l’une des deux chambres du Parlement par initiative d’un ou plusieurs députés ou sénateurs. Cela se matérialise par le dépôt d’une proposition de résolution. Cette proposition doit contenir les motifs et l’objet de la commission d’enquête. Puis elle est transmise à la commission permanente compétente (les commissions permanentes siègent au sein de chaque chambre et sont prévues par la Constitution). Si la commission permanente concernée accepte le principe de la création d’une commission d’enquête, la chambre se prononce sur la proposition de résolution en séance publique.

L’autre voie pour créer une commission d’enquête est nommée ”droit de tirage”. Elle est réservée aux groupes parlementaires d’opposition ou minoritaires (les groupes d’opposition sont ceux qui se déclarent comme tel au président de la chambre ; les groupes minoritaires sont les groupes ne faisant pas partie de l’opposition, sans toutefois se positionner dans la majorité parlementaire). Le droit de tirage appartient au président du groupe. La demande de création prend la forme d’une résolution, mais qui n’est pas suivie d’un vote. Elle est simplement contrôlée dans son motif et son objet. Le président de groupe ne peut faire usage de ce droit qu’une fois par session ordinaire. 

La commission est composée de manière à reproduire l’effectif politique de l’hémicycle. Une fois constituée, elle dispose de six mois pour rendre son rapport. Au-delà de ce délai, elle ne peut plus continuer ses travaux. Aucune autre commission ne peut être créée avec le même objet pendant un an.

À noter que les commissions permanentes de l’assemblée peuvent demander à leur chambre d’être dotées de pouvoirs d’enquête. Elles se transforment ainsi en commission d’enquête en quelque sorte. C’est par ce moyen qu’a été créée la mission d’information sur la protection de hautes personnalités à la suite du début de l’affaire Benalla ou la mission d’information Médiator ®

Quels sont les moyens à disposition des commissions ?

Pour accomplir leur mission d’information, les commissions d’enquête disposent d’un droit de citation, qui les autorise à forcer toute personne à venir témoigner sous serment. Le recours à la force a déjà été utilisé le 11 juin 1998 alors que des magistrats consulaires (ceux qui siègent dans les tribunaux de commerce) avaient solennellement refusé de prêter serment devant les membres de la commission. Les personnes citées s’expriment sous serment et leurs auditions peuvent être publiques. Elles peuvent être poursuivies en cas de mensonge ou si elles refusent de répondre aux questions des membres de la commission, sauf si les questions interfèrent avec une enquête judiciaire en cours. Elles ne peuvent pas être attaquées pour diffamation, injure ou outrage pour des propos tenus en audition.

Les membres de la commission d’enquête disposent aussi d’un pouvoir de contrôle sur pièce et sur place, avec accès aux documents utiles à leurs investigations. Ce pouvoir est toutefois limité. Ainsi ils ne peuvent connaître de documents protégés relatifs à la défense, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’État. Ils ne peuvent pas non plus lever le secret professionnel, comme le secret médical, dans la majorité des cas.

Lorsqu’elle enquête sur des questions financières, la commission peut bénéficier de l’assistance de la Cour des comptes. 

Quel est l’objectif d’une commission d’enquête ?

La commission peut participer au débat public par son rapport et la publicité des auditions qu’elle mène. Pour cette raison, les auditions sont généralement publiques. Le choix du canal de diffusion appartient à la commission. Le plus usité est la diffusion télévisuelle. Il fut utilisé pour les auditions d’Alexandre Benalla en 2018 ou celles de Bernard Arnaud et de Vincent Bolloré dernièrement dans le cadre de la commission d’enquête « Concentration des médias en France ». La commission peut aussi décider que ces auditions s’effectueront à huis clos.

Les commissions ne se limitent pas à décrire un problème. Elles font aussi des propositions en vue de le résoudre et au besoin influencer la politique relative au secteur concerné. Ces propositions peuvent faire l’objet d’un débat sans vote à l’issue de leur présentation. Le rapport marque la conclusion des travaux. Il reprend l’avis majoritaire de ses membres. Le rapport est par principe publié sauf si l’assemblée décide du contraire par un vote spécial en comité secret.

Quelles sont les suites d’une commission d’enquête ?

D’abord, les commissions permanentes peuvent se saisir de l’objet de l’enquête pour approfondir, compléter et préciser les investigations. 

Ensuite, les membres de la commission d’enquête peuvent déposer une proposition de loi destinée à remédier aux problèmes découverts. La mission d’élaboration de la loi et celles de contrôle des politiques publiques peuvent donc se croiser. 

Enfin, des faits susceptibles de poursuites judiciaires peuvent être découverts pendant l’enquête. Ce n’est bien sûr pas à la commission d’enquête de poursuivre les auteurs de ces faits, encore moins de les “qualifier”, c’est-à-dire décider si les faits constituent une infraction pénale. Elle ne peut que transmettre ses informations au ministère de la Justice, à la demande du ministre, afin qu’une instruction judiciaire soit ouverte. La commission peut aussi saisir directement le procureur (comme la loi l’y oblige) afin que celui-ci se saisisse des faits et poursuive les auteurs. C’est l’exemple du président de la commission d’enquête sur la vente d’Alstom qui a saisi le procureur sur des faits de corruption.

Les limites au pouvoir d’enquête

Les parlementaires ne peuvent pas enquêter sur tout. La principale limite est qu’il ne peut y avoir d’investigations sur des faits faisant l’objet de poursuites judiciaires, sauf s’ils sont déjà jugés. La commission ne saurait pas non plus remettre le jugement en question. À titre d’illustration, une commission d’enquête avait été créée à la suite de l’assassinat Sarah de Halimi. Alors que la Cour de cassation avait définitivement jugé les faits, en concluant que l’assassin ne pouvait être jugé responsable de ses actes car dément au moment où il les commettait, un des membres de la commission semblait remettre en cause cette analyse, ce qui fit l’objet de très vives critiques : il était reproché à l’initiateur de la commission de vouloir refaire le procès. Mais il n’a pas été suivi et le rapport est très clair sur la question de la séparation des pouvoirs. Il est rappelé dans l’introduction que le travail des parlementaires ne saurait “remettre en question l’autorité de la chose jugée, comme l’impose la séparation des pouvoirs”. 

Les commissions d’enquête dont il est ici question ne sont les seuls dispositifs d’investigation dont disposent les parlementaires. Le contrôle, l’information et la rédaction de divers rapports est une des grandes activités des parlementaires. Cette activité toute entière leur permet de bien remplir leurs missions et d’informer l’opinion publique, à travers les médias d’information générale.

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