Non, un site archéologique indonésien ne prouve pas que la civilisation est vieille de 27 000 ans
Auteur : Nicolas Turcev, journaliste
Relectrice : Maylis Ygrand, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Facebook, le 6 avril 2025
De nombreuses publications en ligne relaient les résultats d’une étude depuis retirée. Si ses auteurs maintiennent leurs conclusions, la communauté scientifique remet en question la méthodologie choisie.
Va-t-il falloir réviser les livres d’Histoire ? Selon plusieurs internautes, la découverte de vestiges en Indonésie vieux de 27 000 ans repousserait la naissance de la civilisation humaine de plus de 10 000 ans. Le site archéologique de Gunung Padang, auquel font référence ces publications, est situé dans la province du Java occidental, à plusieurs centaines de mètres d’altitude.
« Des analyses au carbone 14 ont révélé des preuves stupéfiantes, suggérant que ce site pourrait avoir jusqu’à 27 000 ans ! […] Cette découverte bouleversante nous oblige à repenser tout ce que nous savons sur les civilisations anciennes, et laisse entrevoir l’existence de sociétés avancées bien plus tôt que ce que l’on imaginait », s’exclame un internaute.
Ce dernier s’appuie probablement sur une étude parue en 2023 dans le journal Archeological Prospection, abondamment relayée dans la presse. Les auteurs y affirment que le site de Gunung Padang, caractérisé par de multiples terrasses et la présence de pierres volcaniques, serait en fait une ancienne pyramide bâtie par l’homme.
L’édifice, supposément dissimulé sous la colline où se trouve le site, serait divisé en trois strates. La première d’entre elles, la plus profonde, « a été construite durant la période remarquable de 25 000 à 14 000 av. J.-C. », assurent les chercheurs.
« Ces trouvailles remettent en question la croyance selon laquelle la civilisation humaine et le développement de techniques avancées de construction n’ont émergé que durant la période chaude du début de l’Holocène [l’ère géologique actuelle, ndlr] ou au commencement du Néolithique, lors de l’avènement de l’agriculture il y a environ 11 000 ans », poursuivent les auteurs.
Le journal a retiré l’article
En d’autres mots, les chercheurs n’avancent rien de moins qu’une petite révolution dans la chronologie de l’Histoire: le plus vieux site humain construit en pierres taillées connu jusqu’à présent, celui de Göbekli Tepe, en Turquie, date de la seconde moitié du Xe millénaire av. J.-C. Mais peu après la parution de l’article, plusieurs experts, archéologues et spécialistes de la datation au carbone 14, ont douté de sa véracité.
« Les données présentées dans cet article n’étayent pas sa conclusion finale », a déclaré à Nature l’archéologue de l’université de Cardiff, Flint Dibble, à l’instar d’autres de ses collègues cités par le New York Times ou bien le Guardian. À la suite de ces remontrances, en mars 2024, Archeological Prospection a retiré l’article, citant la présence d’une « erreur majeure » qui n’a pas été détectée lors du processus de vérification, avant la publication.
« La datation au radiocarbone a été appliquée à des échantillons de terre qui ne sont pas associés à des artefacts ou des caractéristiques qui pourraient être raisonnablement interprétés comme étant d’origine anthropique ou conçus par l’homme, note le journal scientifique. Par conséquent, l’interprétation selon laquelle [le site de Gunung Padang] est une ancienne pyramide bâtie il y a 9 000 ans ou plus est incorrecte. »
L’auteur principal de l’étude, le géologue indonésien Danny Hilman Natawidjaja, ainsi que ses co-auteurs, maintiennent toutefois leurs conclusions, jusqu’à dénoncer, dans une publication Facebook, « une forme de censure ».
Une colline, tout simplement
La controverse sur la nature et la datation du site de Gunung Padang dure depuis de nombreuses années. La topologie complexe du site, situé au-dessus d’un volcan dormant, rend difficiles les recherches à l’œil nu. Pour enquêter en profondeur, les archéologues ont recours à des techniques d’imagerie géophysique, ainsi qu’à des forages pour prélever des échantillons.
Le nœud de la dispute se situe dans l’interprétation des données ainsi récoltées. D’après Danny Hilman Natawidjaja, les datations menées par son équipe sur les différentes strates de la colline de Gunung Padang démontrent la présence de l’homme à plusieurs époques très anciennes : entre 25 000 et 14 000 av. J.-C., entre 6 000 et 5 500 av. J.-C., puis entre 2 000 et 1 100 av. J.-C.
Mais pour la plupart des archéologues qui se sont intéressés à Gunung Padang, le site est simplement une colline qui s’est formée sur un volcan, sur laquelle il existe, en effet, des vestiges d’une présence humaine. Celle-ci serait toutefois bien plus récente que les estimations parues dans Archeological Prospection, comprise entre le début de notre ère et le VIIIe siècle, selon les sources.
En 2017 déjà, l’archéologue britannique Rebecca Bradley critiquait, sur son blog, les thèses de l’équipe de Danny Hilman Natawidjaja. Examinant les travaux préliminaires du chercheur, elle soulignait les incohérences et la faible solidité des datations au carbone 14, « qui ne suffisent pas à prouver les affirmations grandiloquentes » de son confrère sur la présence d’une pyramide vieille de 27 000 ans.
La quête de l’Atlantide
Plusieurs archéologues, dont Rebecca Bradley, suspectent que les résultats des recherches de Danny Hilman Natawidjaja ont été téléguidés par son envie de trouver la « civilisation perdue » d’Atlantide.
Le géologue est l’auteur d’un livre, paru en 2013, intitulé Plato never lied : Atlantis is in Indonesia (Platon n’a jamais menti : l’Atlantide se trouve en Indonésie, non traduit), dans lequel il soutient que les manuscrits du philosophe de la Grèce antique fourniraient des preuves tangibles de l’existence d’une ancienne civilisation, désormais éteinte. La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux possibles indices reliant le site de Gunung Padang à l’Atlantide.
Les thèses de Danny Hilman Natawidjaja résonnaient, à l’époque, avec celles portées par l’ancien président indonésien Susilo Bambang, rappelle le New York Times. Au pouvoir entre 2004 et 2014, le chef d’État a largement soutenu la prospection du site de Gunung Padang, persuadé lui aussi qu’il abrite le monument préhistorique le plus vieux du monde.
La thèse de la pyramide cachée sous Gunung Padang épouse « en partie un récit nationaliste », selon Noel Hidalgo Tan, un archéologue singapourien cité par le New York Times. « Et c’est pour ça qu’elle est devenue un mythe qui refuse de mourir », ajoute le chercheur.
Dans un billet de blog, son confrère états-unien Carl Feagans abonde : « Gunung Padang est un site absolument merveilleux. […] Mais sa signification réelle est obscurcie par l’approche pseudo-archéologique d’un géologue légitime et de ses collègues qui souffrent de deux biais problématiques : la croyance selon laquelle la civilisation avancée de l’Atlantide a existé il y a plus de 12 800 ans [et] le désir de faire de ce site […] un motif de fierté nationaliste. »