Crédits photo : Foundations World Economic Forum (CC 2.0)

Emmanuel Macron souhaite mettre fin à la « quasi-gratuité » de l’enseignement supérieur public

Création : 18 janvier 2022
Dernière modification : 30 septembre 2022

Auteur : Antoine Lunven, master droit public approfondi, Université de Bordeaux

Relecteur : Raphaël Matta-Duvigeau, maître de conférences en droit public, Université Paris-Saclay

Source : Libération, 14 janvier 2022

La gratuité de l’enseignement public selon notre Déclaration des droits de l’homme s’accommode de frais de scolarité “modiques” selon le Conseil constitutionnel, qui se calculent en tenant compte du montant de ces frais au regard du coût de la formation par étudiants, et des aides dont ces derniers peuvent bénéficier. Une marge d’augmentation existe bel et bien, mais pas au point de se caler sur les tarifs anglo-américains.

Dans son discours de clôture du congrès de la Conférence des présidents d’université (CPU), devenue France Universités, le 13 janvier, Emmanuel Macron a annoncé une « transformation systématique » de l’Université, dans un contexte « où un tiers des étudiants sont boursiers (…) où [il y a] tant de précarité étudiante [et] pour répondre à la compétition internationale »L’objectif est d’améliorer la visibilité des universités françaises à l’international dans la lignée des propos de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur. Cette réforme passerait notamment par la fin de la « quasi-gratuité » selon les termes du Président, de l’enseignement supérieur public.

Si le préambule de la Constitution de 1946 impose à l’État « l’organisation de l’enseignement public gratuit », rien ne s’oppose toutefois à ce que des étudiants des universités publiques s’acquittent de frais d’inscription, pourvu que ces derniers restent “modiques” selon le juge. Encore faut-il s’accorder sur la définition de la modicité.

La gratuité de l’enseignement n’interdit pas des frais « modiques »

Le Conseil constitutionnel, saisi contre une loi de 1951 permettant au ministre de l’Education de fixer – et donc d’augmenter s’il le souhaite – les frais de scolarité universitaires, a jugé en 2019 que « l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique [également] à l’enseignement supérieur public ». Par cette même décision, il a apporté une nuance : cette « exigence [de gratuité] ne fait pas obstacle […] à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants ». Il en résultait donc que la loi de 1951 n’était pas contraire à la Constitution.

Mais toute la question du caractère « modique » fut éludée par le Conseil constitutionnel : modique par rapport à quoi ?  Le coût réel des formations ? Les ressources des étudiants ? Le coût des universités anglo-américaines ?

Que signifie frais « modiques » ?

Le Conseil d’État fut ensuite saisi contre l’arrêté du ministre augmentant substantiellement les frais de scolarité applicables aux étudiants étrangers, pris en application de la loi de 1951 que le Conseil constitutionnel venait de valider. Par une formule alambiquée, il entendait préciser la décision du Conseil constitutionnel en indiquant que : « le caractère modique des frais d’inscription exigés des usagers suivant des formations dans l’enseignement supérieur public (…) doit être apprécié, au regard du coût de ces formations, compte tenu de l’ensemble des dispositions en vertu desquelles les usagers peuvent être exonérés du paiement de ces droits et percevoir des aides, de telle sorte que de ces frais ne fassent pas obstacle, par eux-mêmes, à l’égal accès à l’instruction » 

Ainsi, pour comprendre comment déterminer le caractère modique selon le juge, il doit être tenu compte à la fois du tarif des formations (le prix de l’offre de formations universitaires en quelque sorte) et des exonérations ou systèmes de bourses et autres aides dont peuvent bénéficier les étudiants (c’est-à-dire la demande en formations universitaires). En combinant les deux éléments, il faut arriver à un équilibre qui ne fasse pas obstacle à l’égal accès à l’instruction. Faute d’équilibre, il existe une inconstitutionnalité. 

Dans l’affaire des frais de scolarité demandés aux étudiants étrangers, le Conseil d’État explique dans son communiqué de presse que ces étudiants en « mobilité internationale », sont placés dans une situation différente que « ceux destinés à s’établir en France », ce qui permet de leur imposer des frais d’inscription différents. Mais ces frais doivent rester modiques : or, selon le même Conseil d’État, ces frais ne représentent que « 30 % voire 40 % du coût de la formation, ce qui reste modique, compte tenu des exonérations qui existent par ailleurs et dont les étudiants concernés peuvent bénéficier. Les frais de scolarité différenciés pour les étudiants étrangers ne sont pas non plus contraires à la Convention européenne des droits de l’homme, ce qu’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme en 2011, pourvu qu’il y ait une justification.

Concrètement, pour les étudiants extra-communautaires, les frais d’inscription passent de 170€ à 2 770€ en licence, de 243€ à 3 770€ en master et de 380€ à 3 770€ en doctorat. Pour les étudiants résidents et souhaitant s’établir en France, les frais actuels demeurent toujours, selon Campus France, de 170 euros pour une année en cycle de licence, 243 euros pour une année en cycle de master et 380 euros pour une année de doctorat. Ces dernières dispositions sont également applicables aux ressortissants de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou encore de la Suisse.

Il existe donc une marge d’augmentation, y compris pour les étudiants français

Si la proposition d’Emmanuel Macron était entérinée, les frais de scolarité augmenteraient, tout en devant rester modiques, sauf à modifier la Constitution.  Le Président n’avance pas de chiffre. Si nous nous basons sur une proposition de l’Institut Montaigne, think-tank classé libéral, il s’agirait de majorer les frais « de 170 € à 900 € en licence et de 243 € à 1 200 € en master », pour les étudiants français.

Si on prend en compte le coût moyen d’une année de formation universitaire (environ 10 000 euros par étudiant), la proposition de l’Institut Montaigne s’élèverait donc environ à 10% du coût total de la formation, soit bien en dessous des 30% admis par le Conseil d’État pour les étudiants extra-communautaires. Est-ce encore modique au sens où le Conseil constitutionnel l’entend ? Toute la difficulté se situe dans la détermination d’une fourchette tarifaire et donc de ce qu’on peut entendre de « frais modiques » : ni le Conseil constitutionnel et ni le Conseil d’État ne fixent de tarif maximum. 

Si une réforme future augmente les frais sans rompre cet équilibre, alors les présidents d’universités seront tenus d’appliquer cette hausse, comme nous l’avions déjà montré. Ce qui est certain, c’est qu’il serait inconstitutionnel de rapprocher les frais d’inscription français de ceux pratiqués par les universités américaines.

En tout état de cause, ne sont pas concernés par l’exigence de modicité, les formations d’ingénieurs ainsi que les diplômes d’université mis en place par certaines universités à destination des étudiants et surtout des professionnels en formation continue, et qui peuvent dépasser les milliers d’euros payés par l’employeur. 

Contactée, l’équipe d’Emmanuel Macron n’a pas répondu à nos sollicitations.

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