Crédits photo : MacFlory, CC 4.0

Élections européennes : programme de la France Insoumise, ou comment promettre une chose et tous ses contraires.

Création : 9 mai 2019
Dernière modification : 20 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus

Source : Programme La France Insoumise pour les élections européennes

En permettant à chaque État membre de se soustraire aux règles européennes voire de les bloquer avant adoption, LFI permet à chaque État membre de se soustraire voire de bloquer les règles européennes qu’elle veut elle-même voir adopter. C’est une impasse juridique et logique.

Comme pour la plupart des programmes publiés, on relève peu de promesses juridiquement intenables juridiquement dans celui de La France Insoumise (LFI) dont la liste est dirigée par Manon Aubry car, s’agissant d’élire des députés européens, ces derniers auront tout loisir de travailler aux réformes promises en cherchant au besoin à modifier les traités.  Reste que ce programme comporte deux incohérences juridiques et logiques majeures qu’il importe de surligner.

  • 1ère contradiction

Dès la page 4, le programme de LFI indique vouloir « une Europe, non de la concurrence, mais de la coopération fondée sur la liberté, l’égalité et la fraternité entre les personnes, les Nations européennes ». Puis, en page 10, LFI veut faire « reconnaître le droit à la désobéissance aux règles européennes lorsqu’un État estime que ses intérêts fondamentaux sont mis en cause selon les principes du compromis de Luxembourg et les exemptions accordées à certains États ». Où sont donc l’égalité et la fraternité lorsque chaque pays peut s’affranchir des règles communes européennes ? Mais ce n’est pas la seule contradiction fondamentale.

  • 2nde contradiction

En voulant réécrire les traités européens pour que la France se puisse se soustraire aux règles européennes, LFI entend créer une sorte de clause de sauvegarde des intérêts nationaux comme il en existe déjà. Ce faisant, cette clause permettra aussi à tout autre État de se soustraire aux règles européennes. Il n’y a pas de raison que cette clause ne bénéficie qu’à la France, ne serait-ce que parce que LFI veut une Europe égalitaire.

Ainsi, chaque État pourra se soustraire à l’ensemble des règles dont LFI prône l’adoption tout le long des vingt-cinq pages qui suivent dans son programme. Mieux, chaque État pourrait, selon le programme LFI en page 12, « proposer la création d’un mécanisme de « carton rouge » permettant aux parlements nationaux de bloquer un texte européen (pas seulement d’en demander le réexamen) ».

Cela signifie que si LFI emporte ces élections avec ses partenaires européens et obtient suffisamment de députés pour faire passer ses promesses, tout État membre pourra s’y soustraire s’il juge que ses « intérêts fondamentaux sont mis en cause ».

  • Application à quelques promesses de la suite du programme LFI

Promesse de la page 19 : « Étendre le droit syndical le plus favorable à toutes les filiales d’un même groupe présent dans différents pays européens ». Il y a bien un État-membre sur 28 qui s’y opposera pour ne pas effrayer le groupe en question et garder les emplois, ou qui jugera que son propre droit syndical est suffisant et que l’augmenter serait contraire à ses intérêts fondamentaux.

Promesse de la page 20 : « Instaurer un salaire maximum européen : plafonner les écarts de rémunérations à l’intérieur des groupes européens de 1 à 20 entre les salariés les moins et les mieux payés ». Même remarque que précédemment, cette fois pour garder les emplois les plus qualifiés.

Promesse de la page 20 : « Instaurer un SMIC dans chaque pays européen à 75% du salaire médian avec un mécanisme de convergence rapide entre les pays vers un SMIC européen digne ». Bien des pays estiment que leur taux de salaire minimum est digne au regard de leurs niveaux de prix, et d’autres pays n’ont même pas de salaire minimum unique (les salaires sont fixés par branches par les partenaires sociaux). Ces pays bloqueraient le texte ou refuseraient de l’appliquer une fois voté, comme LFI le prévoit dans son programme.

Promesse de la page 20 : « Réduire la durée maximale de travail autorisée par le droit européen, aujourd’hui de 48 h par semaine, avec même des exceptions jusqu’à 65h ». Tout État estimant que cette mesure porterait atteinte à sa compétitivité bloquera ce texte, ou refusera de l’appliquer une fois voté.

Promesse de la page 22 : « Instaurer un taux d’imposition effectif minimum sur les sociétés ». L’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique, etc., dont le taux d’imposition des entreprises est très bas, appliqueraient donc les pages 10 et 12 du programme LFI pour se soustraire à cette mesure.

  • Résultat

La France serait un des seuls pays à appliquer les lois européennes votées par les députés LFI, les autres pays s’y soustrayant pour en tirer un avantage compétitif accru. Mais la France pourrait aussi bloquer ou se soustraire aux textes prônés par les autres États, si ses intérêts étaient menacés. Où serait alors l’Union européenne égalitaire et fraternelle ? Ce ne serait plus le Brexit ni le Frexit, mais « exit l’Europe ».

Où est la faille logique du programme ? LFI se base sur la législation européenne existante, qu’elle récuse et entend modifier. Si LFI et ses partenaires remportent l’élection, leur programme ne pourra se concrétiser que si, au contraire, aucun État membre ne peut s’y soustraire. Et dans quelques années, si un Parlement européen aux couleurs de LFI et ses partenaires réussit modifier les textes selon leur programme, alors le droit de blocage n’aura plus lieu d’être, puisque les textes européens, aujourd’hui honnis, seront de bons textes. Il sera même interdit de s’y soustraire.

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