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Une orque et sa dresseuse au parc SeaWorld d'Orlando, aux États-Unis, en 2013 - David R. Tribble / CC BY-SA 3.0

Aucune dresseuse d’orque nommée Jessica n’a été dévorée par son animal

Création : 12 août 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relecteurice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Compte Facebook, le 9 août 2025

Accompagné de vidéos trafiquées ou générées avec l’intelligence artificielle, le récit d’un tragique accident qui aurait eu lieu dans un parc aquatique embrase la toile depuis plusieurs jours. Il n’existe pourtant aucune trace d’un tel événement.

L’histoire a de quoi glacer le sang. Depuis plusieurs jours, le récit d’une attaque d’orque sur sa dresseuse au sein d’un parc aquatique fait le tour de la toile, à grands renforts de mélodies tragiques. Les différentes publications suivent toutes la même trame principale : une dresseuse d’orques nommée Jessica, ou Jessica Radcliffe, aurait été dévorée par son animal pendant un spectacle d’acrobaties.

Mais dès que les internautes qui relaient cette information donnent plus de détails sur l’incident, leurs versions se contredisent. Certaines publications ajoutent que l’attaque de l’orque aurait été déclenchée par les menstruations de la dresseuse, d’autres que l’agression  « n’a pas d’explication ». Autre incohérence : des posts sont illustrés par des images ou des vidéos d’orques, alors que le texte qui les accompagne fait parfois référence à une attaque de dauphin.

En somme, les circonstances exactes du drame ne sont pas claires. Et pour cause : il n’y a jamais eu d’agression mortelle par une orque ou un dauphin sur une dresseuse prénommée Jessica.

D’innombrables vidéos trafiquées

La propagation de la fausse histoire de Jessica s’appuie principalement sur des vidéos trafiquées, dont des captures d’écran sont parfois extraites pour illustrer les publications.

L’un des clips les plus viraux en France compile des images tournées au parc SeaWorld de Kamagawa, au Japon, qui programme régulièrement des spectacles acrobatiques avec des orques. Le logo du parc y apparaît clairement, même si un filtre miroir appliqué sur la vidéo inverse son sens de lecture.

Une rapide recherche en japonais ne renvoie vers aucun article de presse récent mentionnant un incident avec une orque à Kamagawa. Un accident de cette nature, extrêmement rare et brutal, devrait pourtant trouver un écho dans les médias locaux et nationaux.

Les autres vidéos les plus partagées sont générées avec l’intelligence artificielle (IA). Contrairement à la précédente vidéo, qui annonce la nouvelle du prétendu décès de la dresseuse en voix-off, les clips réalisés avec l’IA montrent le soi-disant moment fatidique de l’attaque. Bassin rempli de sang, musique dramatique, effets sonores stridents… La mise en scène digne d’un film d’horreur peut susciter des émotions fortes et inciter à partager la publication.

Mais en les regardant de plus près, les images sont assez confuses. Par exemple, dans une vidéo, la dresseuse disparaît soudainement. Dans une autre, son corps fusionne avec celui de l’orque. Ces ratés de l’IA sont appelés des « hallucinations ». Elles apparaissent quand le contenu produit par la machine s’éloigne d’une reproduction correcte du réel, et permettent donc d’identifier la patte de l’IA.

Certains récits accompagnant les vidéos ou images générées avec l’intelligence artificielle affirment par ailleurs que l’incident se serait déroulé au « Pacific Blue Marine Park ». Mais aucun parc aquatique de ce nom ne détient une orque en captivité, selon les données de l’ONG Whale & Dolphin Conservation.

Le site Inherently Wild, qui tient un recensement des incidents entre les orques et les humains à travers le monde, ne comporte aucune entrée concernant une dresseuse nommée Jessica.

En revanche, un tel scénario s’est déjà produit à plusieurs reprises dans des parcs aquatiques. Le dernier décès connu causé par une attaque d’orque est celui, en 2010, de la dresseuse de Sea World, Dawn Brancheau, déclarée morte après avoir été emportée sous l’eau par Tilikum. Le documentaire Blackfish, paru en 2013, avait révélé au grand public l’implication de ce cétacé, mort en 2017, dans le décès de trois personnes aux États-Unis.

Le destin de deux orques retenus en France en suspens

La captivité des orques au sein de parcs aquatiques fait l’objet de controverses depuis de nombreuses années. Extraits de leur milieu naturel ou bien forcés de passer l’entièreté de leur vie dans un espace inadapté, les delphinariums, les cétacés développent des comportements anormaux et divers problèmes de santé, tels que des troubles du système immunitaire.

La détresse psychologique induite par la séparation sociale des orques, qui vivent en groupe, peut les pousser à adopter des comportements « plus agressifs », voire « violents » envers l’homme, selon une étude de 2024 qui synthétise l’état des connaissances sur la conduite des orques en captivité. « Un comportement quasiment inexistant chez les populations sauvages », précise l’auteur.

En France, la loi sur le bien-être animal, votée en 2021, interdira les spectacles de cétacés à partir de la fin 2026. Deux orques sont encore détenues par le parc Marineland d’Antibes, qui a fermé ses portes en janvier 2025. Leur sort est suspendu aux négociations entre le gouvernement et le parc, qui sont en désaccord sur la marche à suivre. Les associations de défense des animaux, comme Sea Shepherd, souhaitent qu’elles puissent rejoindre un sanctuaire marin.