Francis Lalanne demande au peuple de destituer Emmanuel Macron : des poursuites pénales pour appel à l’insurrection peu probables

Création : 27 juillet 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Paul Bruna, rédacteur

Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay, et Charlotte Vincent-Luengo, doctorante en sciences criminelles à l’université de Lille

Source : Manifestations du 17 juillet 2021, Paris, source Twitter

Les appels plus ou moins médiatiques et colériques à l’insurrection ne sont pas l’apanage de Francis Lalanne ou de la députée Martine Wonner. Des Gilets jaunes avant, et bien d’autres encore avant eux, ont pu s’énerver contre le pouvoir en place sans pour autant qu’il en résulte un appel à l’insurrection puni par le Code pénal.

À l’occasion des manifestations contre l’extension du passe sanitaire et contre la vaccination, Francis Lalanne a déploré que “l’Assemblée nationale ne (puisse) destituer le président de la République”, puis il a exhorté la foule à aller “destituer le président de la République”. Ces propos, aussi juridiquement faux qu’ils puissent être, constituent-ils un appel à l’insurrection exposant leur auteur à des sanctions pénales ?

Que prévoit la Constitution ?

D’abord, Francis Lalanne, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, prétend que l’Assemblée nationale ne peut pas destituer le Président de la République. Or, selon l’article 68 de la Constitution, “le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour”. Reste que que cette procédure n’a jamais été utilisée, même par temps de cohabitation, car la majorité des deux tiers à réunir au Parlement pour cela est en pratique très improbable dans une Cinquième République qui donne en général au chef de l’État une majorité solide pour gouverner.

Ensuite et au-delà de ces considérations, est-il pertinent de demander la destitution du Président de la République, alors que les prochaines élections présidentielles auront lieu dans à peine 9 mois ? Si le peuple de France veut le départ d’Emmanuel Macron comme l’affirme Francis Lalanne, il le fera savoir par les urnes en avril 2022. En l’état actuel de notre droit, le peuple ne peut pas provoquer le départ du chef de l’exécutif, à la différence par exemple de systèmes comme celui du Venezuela (Hugo Chavez avait failli en faire les frais) ou de la Californie (l’actuel gouverneur sera fixé sur son sort à l’automne).

Et sur le plan pénal ?

Enfin, Francis Lalanne appelle-t-il pour autant à l’insurrection, une infraction pénalement réprimée en France ? En droit pénal, un mouvement insurrectionnel est défini comme “toute violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national”. Le Code pénal prévoit une peine de quinze ans de détention criminelle et de 225 000€ d’amende pour quiconque participerait à un tel mouvement en “provoquant à des rassemblements d’insurgés, par quelque moyen que ce soit”, et une peine de détention criminelle à perpétuité ainsi qu’une amende de 750 000€ pour les dirigeants et organisateurs d’un mouvement insurrectionnel.

On imagine sans mal que, quand Francis Lalanne appelle “le peuple de France (à) destituer le président de la République”, il ne s’agit pas d’un simple appel à une action pacifique et démocratique. Pour autant, ces propos ne semblent  pas assez précis pour entraîner une condamnation pénale. En effet, rien dans ces propos ne mentionne explicitement la violence, et rien non plus n’appelle à une quelconque organisation d’une insurrection. Or, le juge pénal est soumis au principe d’interprétation stricte de la loi pénale, qui découle du principe de légalité issu de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et de la Constitution. Donc Francis Lalanne ne risque rien, et il le sait. En effet, après une tribune dans laquelle il appelait à “mettre l’État hors d’état de nuire”, une enquête avait été ouverte pour “provocation à la commission d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation”, puis classée sans suite.

S’insurger contre les personnalités qui appellent à l’insurrection n’est pas nouveau

Pour rappel, en 2019, Eric Drouet (un des dirigeants des Gilets Jaunes) avait appelé à “un soulèvement sans précédent par tous les moyens utiles et nécessaires”, achevant son communiqué par “citoyens, formez vos bataillons”. Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, avait saisi le parquet pour appel à l’insurrection. Mais cela n’avait finalement donné lieu à aucune poursuite judiciaire, preuve que les infractions d’incitation ou de participation à un mouvement insurrectionnel nécessitent des faits bien plus concrets tendant à l’organisation d’un tel mouvement.

Cela fait également penser au cas de la tribune des généraux publiée dans Valeurs Actuelles : beaucoup de bruit médiatique pour des propos finalement assez vagues, qui n’ont pu faire l’objet d’aucune poursuite pénale.

En somme, inutile d’accorder aux propos de Francis Lalanne plus de portée qu’ils n’en ont.

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