La France est-elle liée par les objectifs climatiques européens et internationaux ?
Dernière modification : 22 juin 2022
Autrice : Justine Coopman, juriste en droit européen
Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay
Fin avril, Joe Biden a organisé un sommet virtuel pour le climat réunissant une quarantaine d’États dont la Chine. L’objectif ? Marquer le retour des États-Unis dans la lutte contre le changement climatique et engendrer une course vers le haut en faveur du climat. Ce sommet a donné lieu à une profusion d’objectifs climatiques.
La veille du sommet, l’Union européenne s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 d’au moins 55% – voire de 57% en comptant les absorptions carbones – par rapport à 1990. La ligne de mire étant d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. De leur côté, les États-Unis ont annoncé un objectif de réduction de 50 % à 52 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, mais seulement par rapport à 2005. D’autres pays, notamment le Japon, le Canada, le Brésil ou encore le Royaume-Uni se sont également engagés à agir en faveur d’une réduction des gaz à effet de serre. Quant à la Chine, le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, elle a réitéré son ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060.
Ces objectifs sont encourageants pour la planète. Mais, juridiquement, sont-ils réellement contraignants ? Si une nouvelle majorité en France venait à prendre le pouvoir, pourrait-elle facilement passer outre les objectifs climatiques de sa prédécesseure ?
Les accords de Paris : que prévoient-ils ?
Les accords de Paris fixent l’objectif de limiter à un niveau bien au-dessous de 2 degrés Celsius le réchauffement de la température mondiale par rapport aux niveaux préindustriels, et de poursuivre les efforts pour limiter le réchauffement de la température à 1,5 degré Celsius. À ce jour, 183 États ont accepté de rendre contraignant ces objectifs pour leur pays.
En vertu de ces accords, les États parties doivent présenter une “contribution déterminée au niveau national” – NDC selon l’acronyme anglais –. Il s’agit d’un plan national qui explique comment le pays en question compte contribuer à l’objectif de limiter le réchauffement de la planète. Au niveau européen, une NDC commune a été présentée.
Mais l’évaluation des progrès réalisés se fait attendre. Cette évaluation est pourtant obligatoire et doit normalement avoir lieu tous les 5 ans. Et elle permet de vérifier où on en est dans la réalisation des accords de Paris. Or, en raison de l’épidémie de Covid-19, la COP26 à Glasgow, qui devait initialement se tenir 5 ans après la COP21, a été reportée en novembre 2021. Cette crise sanitaire devrait a priori inciter à renforcer les objectifs.
Les accords de Paris, des objectifs internationaux fragiles
La sortie officielle de l’accord de Paris en 2019 par les États-Unis, deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde, a porté un coup à la lutte contre le réchauffement de la planète. Et le droit n’a rien pu y faire. Il a fallu attendre que Joe Biden, une fois élu, décide de réintégrer l’accord.
Plus inquiétant, il n’existe aucun tribunal international compétent pour juger les acteurs ne respectant pas leurs obligations climatiques.
C’est pourquoi les promoteurs d’une justice climatique internationale prônent l’inscription du délit d’”écocide” dans les statuts de la Cour pénale internationale (CPI). Cette idée est soutenue par le Parlement européen qui a demandé sans succès en janvier 2021 à la CPI de reconnaître le crime d’écocide en tant que crime international, au même titre que les génocides, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression. Les textes internationaux sont donc peu contraignants sur le plan climatique : ils engagent formellement les signataires, mais ils ne comportent aucune sanction.
L’application par l’Union européenne
Au niveau européen, la Commission von der Leyen fait de l’écologie sa priorité, en présentant en décembre 2019 le “Green Deal”. Il est concrétisé par la “loi” climat européenne, qui grave dans le marbre du droit les objectifs européens présentés la veille du sommet de Joe Biden. Ce règlement est en cours d’adoption et devrait être formellement adopté en juin. Ainsi, la “loi” européenne sur le climat permettra à la Cour de justice de l’Union européenne de sanctionner les États qui traînent des pieds. Une force contraignante indubitable à ce niveau, qui expose les États récalcitrants à de fortes sanctions financières.
La stratégie climatique européenne est encore en construction. Courant avril, la Commission européenne a répertorié les économies dites vertes, ce qu’on appelle la “taxinomie”, pour encourager les investissements dans ces secteurs durables. La question du nucléaire comme énergie verte, qui intéresse la France détentrice du plus grand parc nucléaire d’Europe, a été repoussée à plus tard.
Le plan de relance européen impose que 37 % des fonds reçus par les États soient consacrés à la transition écologique. S’ajoutent ensuite les discussions autour de la taxe carbone. Enfin, sans être exhaustif sur les mesures prises par l’Union, comme le précise le député européen Pascal Canfin, une cinquantaine d’actes législatifs vont accompagner la mise en œuvre du Green deal avant fin 2022. “Nous allons commencer par modifier en juin un paquet de dix directives qui comprennent entre autres les standards CO2 des voitures, le prix du carbone, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, la lutte contre la déforestation”, précise le député, président de la commission Environnement au Parlement européen lors d’une interview à La Tribune.
La sanction européenne des objectifs européens
Le non-respect des engagements fixés dans la “loi” climat européenne ou dans d’autres textes européens peut entraîner la saisine par la Commission européenne ou par un État membre de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette action en justice peut déboucher sur une sanction financière sous forme d’amende et d’astreinte par jour de retard.
S’éloigner des objectifs climatiques posés au niveau européen semble donc plus risqué juridiquement que le non-respect des accords de Paris.
Si la France, avec une nouvelle majorité au pouvoir, ne souhaite plus respecter son engagement pris cette année, elle devra faire en sorte de modifier la législation européenne. Or pour abroger un texte juridique, la règle est qu’il faut utiliser la même procédure que lors de son adoption. Donc, dans le cadre de la “loi” climat européenne, il faudrait obtenir la majorité qualifiée au Conseil et la majorité des votes exprimés au Parlement européen. Avec ces règles de procédure, les objectifs européens semblent donc bien protégés.
Reste que si ces objectifs carbone ne sont pas respectés et que personne ne saisit la Cour de justice de l’Union européenne, aucune sanction ne sera prononcée. L’exemple de l’impunité à la suite du non-respect des objectifs de discipline budgétaire en est une bonne illustration. Le rapport du sénateur Jean Arthuis publié en 2012 à propos de la discipline budgétaire européenne est accablant : “la zone euro a fait preuve de laxisme dans l’application des règles dont elle s’était dotée”.
À l’époque, plusieurs États membres dont la France et l’Allemagne ont échappé à une sanction juridique grâce à une diplomatie bien menée. En sera-t-il de même avec ce qu’on pourrait appeler la “discipline climatique” ?
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