Emmanuel Macron veut limiter l’école à domicile : atteinte aux libertés contre intérêt supérieur de l’enfant ?
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Raphaël Matta-Duvignau, maître de conférences en droit public, laboratoire VIP (Université Paris-Sacaly)
Dans son discours sur les séparatismes prononcé aux Mureaux (Yvelines) le 2 octobre dernier, le Président de la République a « pris une décision forte…. Sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882 et celle assurant la mixité scolaire en 1969 » : limiter l’école à domicile aux « stricts impératifs de santé ».
Cette position est de nature à remettre en question l’un des grands principes de l’école de la République, la liberté de l’enseignement. Cette annonce a immédiatement été critiquée. Sans remettre en cause la pertinence de certains arguments avancés, on soulignera avec malice que les pourfendeurs, hier, de l’enseignement libre sont en partie ceux qui aujourd’hui sont vent debout contre l’annonce présidentielle… Il ne nous appartient pas, ici, d’entrer dans le débat politique et sociologique engendré par une telle décision. Surtout, il est toujours malaisé de savoir quel est le contenu d’une disposition législative à venir alors que nous n’en sommes qu’à l’heure de l’annonce politique.
La liberté de l’enseignement est l’un des grands principes du système éducatif français. Elle recouvre le droit de créer et gérer des établissements d’enseignement privés, y compris hors de tout contrat conclu avec l’État, et surtout le droit pour les familles de choisir d’user de méthodes éducatives alternatives, en assurant l’instruction de leurs enfants à domicile. Cette liberté de l’enseignement a donné lieu à de vives polémiques, en particulier sous la Troisième République, les lois scolaires des années 1880 portées par Jules Ferry ayant comme objectif avoué de laïciser l’école. Cette défiance originelle est aujourd’hui relayée par de nouvelles craintes : celles de l’emprise liée aux risques de dérives sectaires ou « religioso-séparatistes », la perte de chance de s’instruire ou encore la non-intégration des valeurs fondatrices du pacte républicain (on ne parle pas ici de la tenue…). De manière générale, la non-scolarisation est regardée comme une atteinte au droit fondamental de l’enfant d’acquérir le socle commun de connaissances. Ce contexte de défiance interroge la liberté d’enseignement : peut-elle être remise en cause au nom de la lutte, notamment, contre le séparatisme et les atteintes aux principes de laïcité et d’égalité devant la loi ?
L’enseignement à domicile est protégé par le droit
Précisons d’emblée qu’en France, seule l’instruction est obligatoire, et non l’instruction dans un établissement scolaire. Or l’enseignement à domicile est à la croisée des chemins entre, d’une part, l’obligation scolaire et, d’autre part, les libertés de pensée et d’expression des familles, lesquelles sont libres d’inculquer à leurs enfants une éducation conforme à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques.
La liberté de l’enseignement est proclamée par le code de l’éducation, qui rappelle assez vivement à la vocation naturelle et au devoir des parents d’éduquer leurs enfants. Cette liberté a été érigée au rang de principe constitutionnel en 1977. Selon ce principe, l’instruction obligatoire doit être « assurée prioritairement dans les établissements d’enseignement » (article L.131-1-1 du code de l’éducation), mais elle peut être donnée « soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents (…) ou toute personne de leur choix » (article L.131-2 du code de l’éducation). Cette liberté est également garantie par les accords internationaux. L’article 2 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme impose aux États de respecter le droit des parents d’assurer l’éducation de leurs enfants et de choisir un enseignement respectueux de leurs convictions religieuses et philosophiques. De même, l’article 14 de la Charte de l’Union européenne protège « le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques ».
Dès lors, l’interdiction de l’instruction à domicile (sauf « motifs impératifs de santé », notion bien floue), risquerait d’être considérée comme une restriction disproportionnée à l’exercice de la liberté de l’enseignement. Par ailleurs, il n’est pas certain – et nous nous risquons ici à un pronostic – que le Conseil constitutionnel, saisi d’un tel projet de loi, juge le dispositif adapté et adéquat à l’objectif affiché, celui de lutter contre le séparatisme religieux. En effet, de nombreux enfants sont scolarisés à domicile pour des raisons totalement étrangères à la sphère religieuse (enfants malades, ceux sortis du système en raison de harcèlements, enfants accompagnant leurs parents partis en voyage…).
Une liberté dont l’exercice est déjà – théoriquement – étroitement surveillé
En raison du respect de l’obligation scolaire, les méthodes d’éducation alternatives à l’enseignement public doivent être contrôlées par l’autorité. Une vigilance accrue est demandée aux services académiques lorsque cette instruction est dispensée au sein de la famille ou au sein d’un établissement d’enseignement non lié à l’État par contrat.
L’instruction à domicile, dont les détails sont précisés par une circulaire spécifique, qui concerne moins de 1% des enfants soumis à l’obligation scolaire, est subordonnée au dépôt d’une déclaration préalable adressée au maire de la commune de résidence et au directeur académique des services de l’éducation nationale agissant sur délégation du recteur (article L.131-5 du code de l’éducation). De plus, dès la première année puis tous les deux ans, une enquête de la mairie est normalement menée sur l’instruction donnée à l’enfant, son état de santé et les conditions de vie de la famille. Le résultat de cette enquête est communiqué à l’autorité académique (article L. 131-10 du code de l’éducation). Si cette enquête n’a pas été effectuée par la mairie, elle est diligentée par le préfet.
Par ailleurs, l’autorité académique doit au moins une fois par an, à partir du troisième mois suivant la déclaration d’instruction par la famille, faire vérifier que l’enseignement assuré est conforme au droit de l’enfant à l’instruction. Ce contrôle, très encadré, s’effectue au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement. Les résultats de ce contrôle sont notifiés aux « personnes responsables » (en général les parents) avec l’indication du délai dans lequel elles devront fournir leurs explications ou améliorer la situation, ainsi que des sanctions dont elles seraient l’objet dans le cas contraire. Surtout, en cas de résultats jugés insuffisants à l’occasion d’un second contrôle, le recteur doit mettre en demeure les parents qui éduquent leur enfant à domicile de l’inscrire dans un établissement scolaire public ou privé (article L.131-10 du code de l’éducation).
Nous conviendrons ici que les dérives décrites dans le discours présidentiel sont censées pouvoir être détectées et neutralisées durant ces étapes. D’autant que la Convention européenne des droits de l’homme n’autorise pas les parents à demander, au nom de principes religieux ou philosophiques, une scolarité à domicile entièrement placée sous leur seul contrôle.
Par ailleurs, la scolarisation d’enfants dans les établissements privés dits « hors contrat » demeure marginale mais elle ne cesse de progresser. L’ouverture de ces établissements s’opère elle aussi sur simple déclaration (articles L. 441-1 et suivants du code de l’éducation) mais les contrôles ont été renforcés (loi du 13 avril 2018). Le code de l’éducation fixe des exigences de qualifications, d’âge et d’expérience professionnelle. L’État veille également au respect de l’ordre public et des bonnes mœurs, ainsi qu’à la prévention sanitaire et sociale (article L. 442-2 du code de l’éducation). Les établissements hors contrat dont l’enseignement n’est pas conforme aux exigences de l’instruction obligatoire encourent des sanctions pénales graduées allant jusqu’à leur fermeture (article L. 227-17-1 du code de l’éducation).
L’État dispose donc déjà des moyens juridiques de contrer les dérives dénoncées par le Président.
Mais après avoir énuméré ces éléments de droit purement théoriques, il convient de se confronter à la réalité : dans les faits, il est impossible de connaître le degré d’effectivité de ces contrôles. On ne sait pas évaluer l’efficacité de ces dispositifs. Toutefois, nous pouvons nous risquer à une hypothèse : au vu du nombre d’enfants soustraits, pour différentes raisons, à l’instruction en établissement, il paraît matériellement impossible à l’administration de procéder, régulièrement, aux contrôles et enquêtes prévues. De la même manière, les contrôles peuvent-ils seulement avoir lieu lorsque les enfants concernés sont dans des familles résidant dans les zones urbaines où même les forces de l’ordre éprouvent les plus grandes difficultés à pénétrer ?
Une interdiction basée sur l’intérêt supérieur de l’enfant ?
Dans une décision récente, le Conseil constitutionnel a réalisé une avancée considérable en consacrant une exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Si cette notion, plutôt récente en droit, concerne principalement les questions relatives à la filiation (mariage homosexuel, GPA, PMA, etc.) et à quelques autres thèmes (enfants étrangers par exemple), il doit être possible, par analogie, de l’appliquer aux situations où les enfants sont déscolarisés pour des raisons « différentes » que celles relatives à la santé ou autrement légitimes… Pour le Conseil constitutionnel, qui reprend les termes de la Constitution, la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Or, comment ne pourrait-on pas invoquer l’intérêt supérieur de l’enfant lorsque, notamment, des petites filles (osons le dire), sont déscolarisées, endoctrinées et maintenues ignorantes des principes fondamentaux non seulement de la vie en société mais aussi de l’instruction élémentaire ? Comment ne pourrait-ont pas convoquer cet intérêt supérieur de l’enfant lorsque celui-ci est reclus dans un entourage qui refuse d’obéir aux lois de la République ou de respecter les principes mêmes de l’État de droit ? Les situations sont innombrables…
Dès lors, on le perçoit aisément, l’intérêt supérieur de l’enfant constitue une notion encore juridiquement balbutiante mais qui permet de poser un fondement supplémentaire à la clef de voûte de la vie en société : l’ordre public. L’intérêt supérieur de l’enfant doit pouvoir commander d’aller à l’encontre de la volonté des parents en matière d’instruction. Sans en faire de trop, rappelons simplement que l’article 4 de la Déclaration des droits de d’homme et du citoyen de 1789 dispose que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »…
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