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Crédits : Clarisse Le Naour

Non, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré l’allongement de la durée de rétention des étrangers jugés « dangereux »

Création : 14 août 2025

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Relectrice : Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse-associée à l’Université Paris-Saclay

Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Source : Le Monde, 7 août 2025

Le 7 août 2025, le Conseil constitutionnel a partiellement censuré la loi de Bruno Retailleau sur la rétention des étrangers. Contrairement à ce qu’affirment de nombreux médias et internautes, il n’a pas touché à l’allongement pour les personnes jugées dangereuses, mais à son extension à presque tous les expulsables — une nuance essentielle.

L’été n’adoucit pas les verdicts du Conseil constitutionnel. Le 7 août 2025, les Sages ont rendu un certain nombre de décisions particulièrement attendues. La première, concerne la très contestée loi Duplomb qu’il a partiellement censuré au grand dam des partisans de la réintroduction de certains néonicotinoïdes

Mais une autre décision a provoqué la polémique. Les Sages étaient invités à se prononcer sur un texte cher au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau : la loi « visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive »

Mais là encore, le Conseil constitutionnel a tranché pour la censure partielle et notamment d’un article qui devait modifier le code d’entrée et de séjour des étrangers et des demandeurs d’asile (CESEDA) pour allonger la durée de rétention maximale de 90 à 210 jours. Une durée applicable, jusque-là, aux seuls cas de terrorisme. 

Cette décision à provoquer un tollé sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les médias. Au cœur des accusations : une prétendue bienveillance des Sages pour les étrangers jugés dangereux présents sur le territoire français.

« Le Conseil constitutionnel préfère protéger la liberté d’étrangers dangereux à celle de citoyens innocents », dénonce l’avocat Jean-Philippe Delsol, dans une tribune au Figaro. 

Problème, contrairement à ce que l’on peut lire partout — même les médias les plus sérieux —  le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur l’allongement de la durée de rétention des personnes dangereuses, mais sur son extension à presque tous les étrangers en situation irrégulière. Une nuance qui n’en est pas une au regard de la sensibilité du débat sur la rétention des étrangers en situation irrégulière. Explications point par point. 

Une extension des personnes concernées jugée démesurée

Pour comprendre la portée réelle de cette censure, il faut revenir sur le texte visé. Cet article, le premier de la loi, modifiait l’article L.746-6 qui prévoit actuellement que le juge peut ordonner l’allongement de la durée de rétention des étrangers condamnés à une interdiction de territoire pour des actes de terrorisme ou qui font l’objet d’une décision d’expulsion pour des comportements liés à du terrorisme.

La nouvelle loi devait étendre cette possibilité d’enfermer les étrangers jusqu’à six mois, voire sept mois, non plus seulement pour les cas de terrorisme, mais pour toute une liste de crimes graves, comme les viols ou les meurtres.

Mais ce n’est pas tout. La loi ouvrait cette possibilité de rétention à des personnes simplement visées par une mesure d’éloignement ou d’interdiction de territoire, y compris lorsque la décision d’un juge n’était pas définitive.

Autrement dit, le texte permettait d’allonger la rétention des personnes en situation irrégulière ne présentant pas une menace à l’ordre public, avant même que la justice n’ait statué définitivement sur leur cas.

La décision du Conseil constitutionnel sonne comme un camouflet pour le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. (Photo Thibaud Moritz/ AFP)

 

Ce faisant, le Conseil constitutionnel ne s’oppose pas à l’allongement de la rétention pour les étrangers jugés dangereux, mais à son application généralisée à tous ceux visés par une mesure d’éloignement — parfois pour un simple visa non renouvelé.

L’équilibre entre l’ordre et les libertés

Pour trancher, le Conseil constitutionnel a mis en balance deux éléments. D’un côté, « l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, qui participe de cet objectif ». De l’autre, « l’exercice des libertés constitutionnellement garanties »

Cette dernière peut être prononcée pour des infractions qui ne sont pas d’une particulière gravité

 

Cet équilibre ne concerne pas seulement le droit des étrangers, mais le droit applicable à toutes les personnes sur le territoire français. Pour l’assurer, le Conseil constitutionnel s’appuie notamment sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen afin de protéger d’autres libertés fondamentales, comme celle d’aller et venir, le droit à un procès équitable, la liberté d’opinion ou encore le droit de propriété.

Et c’est justement un manque d’équilibre entre nécessité de préserver l’ordre public et liberté fondamentale qui ont poussé les Sages à censurer le texte : « Elles s’appliquent [les dispositions de cette loi ndlr] à l’étranger condamné à une peine d’interdiction du territoire, alors même que cette dernière peut être prononcée pour des infractions qui ne sont pas d’une particulière gravité, et que cette condamnation peut ne pas avoir un caractère définitif et ne pas être assortie de l’exécution provisoire ». 

Autrement dit : le dispositif pouvait conduire à prolonger la rétention de personnes ne présentant pas de dangerosité avérée, sur la seule base d’une condamnation encore susceptible d’appel ou de recours, et pour des faits parfois éloignés des crimes les plus graves. « Elles sont, au demeurant, susceptibles de s’appliquer à des étrangers à l’encontre desquels la juridiction n’aurait pas estimé nécessaire de prononcer une peine d’interdiction du territoire », scellent ainsi les Sages. 

Une loi conforme au droit européen

Cette vigilance du Conseil constitutionnel s’exerce même lorsque le texte contesté respecte le droit de l’Union européenne. C’est précisément le cas ici : l’article 15 de la directive européenne Retour prévoit, dans certains cas, la possibilité de placer en rétention des ressortissants d’États hors de l’Union européenne jusqu’à 18 mois, si les lois nationales le permettent. Cette loi était donc a priori conforme au droit européen, mais pas à la Constitution.