Jean-Luc Mélenchon veut “nationaliser les entreprises Luxfer et Famar” pour aller au-devant des pénuries de masques et autres matériels médicaux

Création : 2 avril 2020
Dernière modification : 20 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université de Paris-Saclay

Source : France info, 1er avril 2020

En dehors même du choix de modèle économique qui n’est pas en cause ici, la France possédait bien avant la crise et plus encore maintenant, au moins deux outils juridiques permettant de disposer de matériels médicaux de protection en quantité suffisante : la réquisition et le stockage, prévus par les textes. La nationalisation est aussi une réponse que le droit actuel permet. Le choix entre ces trois outils – ou d’autres – n’appartient pas aux juristes.

Jean-Luc Mélenchon, président du groupe La France Insoumise à l’Assemblée nationale, souhaite nationaliser certaines entreprises produisant les matériels médicaux dont la France manque cruellement aujourd’hui, pour « reconstruire notre souveraineté nationale et européenne », mais ne propose pas un « modèle économique qui soit les nationalisations ». Dont acte, le débat n’est pas celui du modèle économique, mais plutôt celui du modèle sanitaire. Nationaliser une entreprise de fabrication de matériels médicaux est-il le seul moyen de s’assurer une production locale suffisante ? Nous laissons cela aux économistes de la santé, d’autant que l’une des entreprises visées (Luxfer, fabrique de bouteilles d’oxygène) est en redressement judiciaire.

Mais juridiquement, il existe un moyen à court terme qui est la réquisition. La loi sur l’état d’urgence sanitaire crée un dispositif permettant « d’ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens ». En d’autres termes, l’autorité peut s’emparer de toute une production jugée vitale pour le pays, moyennant indemnisation de l’entreprise. Avant même cette loi, des réquisitions de biens et services vitaux étaient possible en cas de nécessité, sur la base du code de la santé publique (article L3131-1). Mais encore faut-il, c’est vrai, avoir une production locale pour pouvoir la réquisitionner, car on ne peut pas réquisitionner une production en Chine.

De plus, il faut rappeler que le manque de masques notamment, ne tient pas à un droit mal conçu, mais à une stratégie dont on se rend compte aujourd’hui combien elle est délétère. Le code de la santé publique (article L1413-4) prévoit depuis 2007 que pour répondre aux urgences sanitaires, il peut être procédé « à l’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, le transport, la distribution (…) des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves. » Et le même article ajoute : il peut être procédé « dans les mêmes conditions, (à) leur renouvellement et (à) leur éventuelle destruction ». Nos stratèges en santé n’ont manifestement retenu que cette dernière option. Si les stocks permis par la loi avaient été maintenus, on ne se poserait pas la question des nationalisations.

Cela précisé, la France dispose d’outils juridiques diversifiés, y compris la nationalisation, et ce n’est pas aux juristes de décider lesquelles mettre en œuvre.

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