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Les femmes conservent-elles vraiment l’ADN de leurs partenaires sexuels dans leur “temple interne” ?

Création : 19 septembre 2024

Auteurs : Clara Robert-Motta, journaliste et Nicolas Kirilowits, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Alexandra Maubec, étudiante en LLCER à la Sorbonne Nouvelle

Source : Compte Facebook, le 30 août 2024

Depuis plusieurs années, des internautes publient des enseignements sexistes en utilisant un vernis pseudo-scientifique qui voudrait que les femmes conservent l’ADN de leurs partenaires sexuels en elles. Si des cellules dites microchimériques existent réellement, il n’existe aucune preuve d’un échange lors d’un rapport sexuel. Et encore moins de justification aux conclusions rétrogrades.

La vie sexuelle s’exporte sur Internet. Le phénomène, bien connu depuis des années, comporte, comme chacune des étapes de la numérisation de nos vies, son lot de bons et de mauvais côtés. Parmi ces derniers, on trouve sur les réseaux sociaux de nombreuses publications rétrogrades et emplies de désinformations visant à culpabiliser les femmes et leurs vies sexuelles. 

Pour coller à une vision particulière de la sexualité, il est d’usage d’utiliser un vernis pseudo-scientifique. C’est le cas d’une idée tenace qui circule depuis des années sur la toile : Chaque fois qu’un homme se connecte sexuellement avec une femme et libère son énergie vitale en elle, il laisse une partie de ses informations (ADN) dans son canal de naissance, peut-on lire dans plusieurs publications Facebook

La plupart du temps, la science est rapidement abandonnée pour des considérations tout de suite plus mystiques : Les femmes doivent faire attention aux différentes énergies ou forces spirituelles qui polluent leur temple interne”, écrit un internaute comme une invitation à peine déguisée à ne pas multiplier les partenaires sexuels.

Mais passons ces conclusions rétrogrades, que dit vraiment la science sur le partage d’ADN lors de relations sexuelles ? 

Des cellules d’autrui en nous ?

Des dizaines de publications font référence à une étude provenant de l’Université de Seattle et du Centre de recherche sur le cancer Fred Hutchinson. L’étude en question, “Male Microchimerism in the Human Female Brain”, a été publiée en 2012 dans le très sérieux journal scientifique Plos One. Les chercheurs se sont penchés sur la présence de cellules dont l’ADN est masculin dans le cerveau de femmes. 

Pour bien comprendre, il faut revenir à des notions de base. L’ADN (acide désoxyribonucléique) présent dans le noyau de nos cellules est le support de l’information génétique.

C’est une sorte d’empreinte génétique personnalisée.Normalement toutes les cellules de notre corps proviennent de la même cellule œuf qui s’est divisée au fur et à mesure : elles ont toutes la même signature unique, explique Lise Barnéoud, journaliste scientifique et autrice de l’ouvrage Les cellules buissonnières (Premier Parallèle, 2023). Sauf que chez certains individus, quelques rares cellules portent l’ADN d’un autre individu : c’est ce qu’on appelle le microchimérisme.

Mais d’où viennent ces cellules étrangères ? Ce phénomène encore méconnu n’est étudié que depuis une trentaine d’années. Forcément, de nombreuses hypothèses prouvées et non prouvées ont vu le jour autour du microchimérisme. La première, prouvée celle-ci, montre que certaines cellules peuvent passer du fœtus à la mère lors de la grossesse. Mieux encore, on pourrait même récupérer les cellules de nos frères et sœurs aînés qui sont passés avant nous dans le corps de notre mère. Autres sources de cellules microchimériques : les jumeaux évanescents (des embryons qui se seraient formés en même temps que nous, mais qui n’ont pas été à terme), ou encore des cellules de nos grands-mères (qui les ont elles-mêmes léguées à nos mères).

Une fausse utilisation de l’étude

Face à la quantité de questions que ces découvertes posent, rien d’étonnant à ce que la science se soit intéressée à d’autres échanges que celui entre la mère et ses enfants. C’est dans ce contexte que la fameuse étude citée dans les publications a été réalisée. Cependant, l’utilisation qui en est faite est complètement erronée. 

Les chercheurs ont analysé le cerveau de femmes décédées pour déceler des cellules du sexe opposé. Sur 59 femmes, 37 d’entre elles (63 %) présentaient un microchimérisme mâle dans le cerveau. De cette étude, on peut dire que les cellules microchimériques peuvent franchir la barrière entre les vaisseaux sanguins et le système nerveux central (barrière hémato-encéphalique). En revanche, les auteurs de l’étude ne disent pas que cela est dû aux relations sexuelles. 

Nathalie Lambert, biologiste et directrice de recherche à l’Inserm sur la question du microchimérisme et des maladies auto-immunes, est claire sur la question : Il n’y a à l’heure actuelle aucune étude qui ait démontré que les femmes gardent l’ADN des cellules de leurs partenaires sexuels. L’hypothèse a juste été émise, a-t-elle répondu par mail aux Surligneurs.

Ainsi quand des internautes assurent avec autorité que si vous avez des relations sexuelles avec un homme, son ADN vit en vous pour toujours. Une recherche menée par l’Université de Seattle aux États-Unis l’a prouvé : c’est absolument faux. Quand certains expliquent même que cela crée une “dépendance sexuelle” : c’est aussi et sans conteste, faux. 

Projeter ses fantasmes sur le microchimérisme

Ce qui est incroyable avec ce sujet, c’est que tout le monde peut projeter ses fantasmes sur le microchimérisme, analyse Lise Barnéoud qui a enquêté un an sur le sujet. Par exemple, aux États-Unis, les anti-IVG utilisent les études autour de ces cellules pour convaincre de ne pas avorter, car les cellules des fœtus ‘viendraient vous hanter’”.

La question du contrôle du corps et des partenaires des femmes ne date pas d’hier. Pour expliquer la diffusion de cette fausse information, un article de Slate évoque la théorie de la télégonie qui s’est surtout répandue en France à la fin du XIXème siècle et qui utilise déjà des notions pseudo-scientifiques pour valoriser la virginité chez la femme. 

Les cellules microchimériques, loin de valider ce genre de croyance, sont une mine d’or de découvertes concernant les maladies auto-immunes. Mais il est vrai, qu’avec un peu de mauvaise foi, on peut faire dire tout et son contraire à ces études pour les faire coller à ses propres croyances.

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