Affaire PPDA : derrière l’ouverture de nouvelles instructions, une possible évolution de la prescription
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
La réouverture de prescriptions clauses pourrait être décidée, pour la première fois, dans les affaires visant Patrick Poivre d’Arvor pour viols et agressions sexuelles.
L’évolution serait à la mesure de l’onde de choc médiatique provoquée par les accusations en cascade de viol à l’encontre du présentateur star Patrick Poivre d’Arvor depuis 2021. Mardi 30 juillet, le journal Libération a révélé l’ouverture de cinq nouvelles instructions pour viols et viols aggravés sur cinq femmes différentes, après le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile le 19 juin. Pourtant, les faits concernés avaient été considérés prescrits par le parquet de Nanterre en février dernier.
Au moment où les victimes présumées se manifestent et portent plainte, entre 2021 et 2022, les faits sont en effet déjà anciens : ils auraient eu lieu entre 1985 et 1994, soit 37 ans avant pour les plus lointains, et 27 ans pour les plus récents. Or le délai de prescription concernant le viol – la durée au-delà de laquelle une action en justice n’est plus possible – était de dix ans au moment de faits. C’est donc logiquement que le parquet de Nanterre avait décidé d’un classement sans suite cet hiver.
Toutefois, le procureur n’était pas allé jusqu’au stade de la saisine d’un juge d’instruction. “La décision qu’a rendue le parquet n’était donc pas dite ‘juridictionnelle’, c’est-à-dire qu’elle n’avait pas éteint l’action publique”, précise Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine.
Cela a permis à l’avocate des plaignantes, Corrinne Herrmann, de déposer à nouveau plainte mi-juin. Dans les colonnes de Libération, la spécialiste des crimes en série et des affaires non résolues s’appuie sur un principe de sérialité pour contester la prescription : selon elle, parce que Patrick Poivre d’Arvor aurait sévi à l’aide du même mode opératoire pendant plusieurs décennies, la prescription globale devrait courir à partir des faits les plus récents. En l’occurrence, sur les 22 plaintes visant l’ex-tête d’affiche de TF1, trois concernent des viols et agressions sexuelles qui auraient eu lieu entre 2007 et 2018, et ne sont donc pas prescrites.
“Prescription glissante”
Pourraient-elles alors permettre à la justice de se prononcer sur des agissements vieux de 30 ans ? “Normalement, en droit, on ne peut pas revenir sur des faits déjà déclarés prescrits, tranche d’abord Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l’université Paris Nanterre, avant de nuancer : La notion de série existe en matière de viol, mais il s’agit d’une circonstance aggravante. Elle n’est pas utilisée en matière de prescription, sauf pour les mineurs avec la prescription glissante.”
En effet, depuis la loi du 21 avril 2021, adoptée pour protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, si une infraction s’inscrit dans une “série” perpétrée par le même auteur, la justice considère que chaque agissement ultérieur fait repartir la prescription du précédent à zéro. Ce principe, prévu à l’article 7 du code de procédure pénale, a déjà été appliqué par le tribunal judiciaire de Brest le 5 juillet 2021 pour des incestes commis au sein d’une fratrie. Le tribunal a jugé que la plainte déposée par l’un des enfants des années auparavant avait interrompu le délai de prescription d’une sœur, pour qui les faits auraient été prescrits.
À priori, cette prescription “glissante” ne s’applique pas en matière de viol sur un majeur. Toutefois, selon Audrey Darsonville, il existe une jurisprudence sur laquelle le tribunal de Nanterre pourrait s’appuyer pour faire droit à la demande de l’avocate des plaignantes. “Dans un arrêt du 29 novembre 2005 au sujet d’abus de faiblesse, la chambre criminelle de la Cour de cassation a innové en disant que, puisqu’il s’agissait de faits en série concernant la même victime, les poursuites devaient être étendues à tous les faits, y compris les prescrits. Or, ce n’était déjà pas prévu par la loi”, décrypte la spécialiste de droit pénal.
Dans cette affaire, il ne s’agissait pas d’un crime, mais d’un délit, et une seule victime était concernée sur toute la période. Mais la tendance de ces dernières années, marquées par l’explosion du mouvement #MeToo et la libération de la parole des femmes, pourrait aller dans le sens d’une interprétation extensive de cette jurisprudence, selon la juriste. Alors que l’on connaît de mieux en mieux les mécanismes et les obstacles qui peuvent empêcher des victimes de se manifester dans un premier temps, “il y a une intolérance sociale de plus en plus forte au sujet de la prescription”, estime-t-elle.
Rien ne dit toutefois qu’une décision du tribunal judiciaire de Nanterre en ce sens ne serait pas censurée par la chambre de l’instruction – qui traite les appels contre les décisions des juges d’instruction – ou la Cour de cassation. D’autant qu’elle ouvrirait une abyssale boîte de pandore. “Elle pourrait être appliquée aux cas de Gérard Depardieu, Benoît Jacquot ou Jacques Doyon, tous mis en cause pour des faits prescrits, abonde Audrey Darsonville. Il y aurait une réaction en cascade”.
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