Crimes et délits sexuels sur mineurs : un système de prescription complexe et changeant

Création : 10 février 2021
Dernière modification : 21 juin 2022

Auteur : Claire Manoha, master 1 culture judiciaire, Université Jean Moulin Lyon 3, sous la direction d’Audrey Darsonville, professeure de droit privé et sciences criminelles, Université Paris Nanterre

Les dénonciations  d’agressions sexuelles ou de viols incestueux se font nombreuses dans l’espace médiatique, entre autres depuis les révélations de Camille Kouchner dans son livre : La familia grande. La dernière accusation en date concerne Coline Berry-Rojtman qui accuse son père, le comédien Richard Berry, de viols et d’agressions sexuelles qui auraient été commis pendant les années 1980.

Dans ce contexte, il est nécessaire d’apporter un éclairage sur la prescription en matière d’abus sexuels intrafamiliaux. On confond souvent dans ces deux problématiques : 1/ celle du délai de prescription lui-même et sa durée, qui est assez simple et qui s’applique à tous les viols et agressions sexuelles ; 2/ celles des nombreuses lois successives allongeant la durée de prescription de ces infractions, la dernière loi en date étant la loi “Schiappa” du 3 août 2018 “renforçant l’action contre les violences sexuelles et sexistes”. 

Pourquoi une prescription ?

La prescription en matière pénale est un délai fixé par la loi au-delà duquel l’auteur d’une infraction ne peut plus être poursuivi. Pour le dire simplement, il n’est plus possible ni pour la victime de déposer plainte, ni pour procureur de la République d’engager des poursuites, une fois ce délai écoulé. Ce délai de prescription varie en fonction de la gravité de l’infraction.

Très critiquée par certaines associations d’aide aux victimes qui militent pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs afin d’empêcher l’impunité, la prescription se justifierait par une série de raisons :

  • 1) Le dépérissement des preuves (par exemple, la disparition de l’ADN) et la mémoire déclinante des témoins augmente le risque d’erreur judiciaire. 
  • 2) La menace de prescription incite les services du procureur de la République à plus de réactivité. 
  • 3) L’oubli permet de rendre la société plus apaisée.

Les modifications successives du régime de la prescription 

Avant 1989, le délai de prescription de l’action publique (et donc aussi pour déposer plainte) était de dix ans à compter du jour de la commission des faits. 

L’intolérance accrue de la société face aux crimes et violences sexuelles sur mineurs a conduit à adopter une première loi (10 juillet 1989), qui allongea la durée de prescription jusqu’à dix ans à compter de la majorité de la victime, si le viol a été commis par un ascendant (adoptif ou naturel) ou une personne ayant autorité sur elle. Cette modification du point de départ de la prescription s’appliquait aux faits commis avant son entrée en vigueur qui n’étaient pas encore prescrits, ainsi qu’aux faits commis après l’entrée en vigueur de la loi. 

Puis, la loi du 9 mars 2004 porta de dix à vingt ans le délai de prescription pour les viols sur mineur, après la majorité de la victime.

Une modification encore plus nette a été faite par une loi du 3 août 2018 spécifiquement pour le crime de viol sur mineur. La prescription s’élève à trente ans (au lieu de vingt sous la loi de 2004), et comme c’est le cas depuis 1989 ce délai ne commence à courir qu’à compter de la majorité de la victime (et pas à compter de la date du crime). Donc, si un mineur subit un viol (quel que soit son âge), ce dernier peut agir jusqu’à ses quarante huit ans. 

A ce sujet, la journaliste Anne Chemin explique que : “cette refonte du calendrier de l’oubli a permis au législateur de définir une nouvelle échelle de gravité du crime : en allongeant la prescription de la délinquance sexuelle, il a placé ces infractions au sommet de la hiérarchie du mal”.

Il apparaît bien souvent difficile pour les enfants victimes de dénoncer de tels actes commis le plus souvent au sein de la famille, cercle le plus intime, le silence et l’omerta étant bien souvent de mise pendant de longues années. La possibilité d’agir en justice, certes étendue d’année en année, n’est pas infinie. 

Un allongement du délai de prescription ne s’appliquant pas à tous les viols commis avant 2018

L’allongement du délai de prescription par la loi de 2018 ne s’applique cependant qu’aux viols commis sur une victime mineure après le 6 août 2018 (date d’entrée en vigueur de la loi) et à ceux qui n’étaient pas encore prescrits avant cette date. Cela signifie que cette loi s’applique à deux hypothèses : 1/ les viols commis après le 6 août 2018 ; 2/ les viols commis avant cette date, mais dont le délai de prescription de vingt ans (loi de 2004) n’est pas encore écoulé.

En résumé, même si le législateur a voulu protéger les mineurs en leur offrant des délais de prescription spéciaux, plus longs, toutes les victimes ne peuvent pas en bénéficier. Si leur affaire est trop ancienne ou le délai de prescription de vingt définitivement dépassé, le nouveau  délai de prescription allongé ne s’applique pas.

L’exemple de la prescription des faits qu’Alain Duhamel aurait commis selon les accusations de Camille Kouchner 

Pour comprendre ce système de prescription complexe et changeant, prenons un exemple.

Camille Kouchner accuse le politologue Olivier Duhamel d’avoir agressé sexuellement son frère jumeau alors qu’il était âgé d’environ treize ans, à la fin des années 1980. Le 5 janvier 2021, le parquet de Paris a donc ouvert une enquête des chefs de viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur mineur de quinze ans, suite aux accusations faites par Camille Kouchner. Autre élément d’après le procureur de Paris, Rémi Heitz : “une précédente procédure portant sur les faits ainsi dévoilés, qui n’avait pas donné lieu à dépôt de plainte de la victime, ni à audition du mis en cause, a été classée sans suite en 2011 par le parquet de Paris”.

Ainsi, supposons que les faits ont été commis en 1988. A cette époque, le viol commis sur un mineur était prescrit par dix ans à compter du jour de la commission des faits. Donc, les faits ont été prescrits en 1998, et aucun texte ne permet le déclenchement de poursuites judiciaires.

Si l’on admet maintenant que les faits que dénoncent Camille Kouchner aient été commis après le 14 juillet 1989, (première loi allongeant la prescription), alors la prescription s’étend jusqu’à dix ans à compter de la majorité de son frère jumeau. “Victor” Kouchner (prénom d’emprunt) ayant atteint la majorité en 1993, soit il y a plus de vingt ans (loi de 2004), les faits se sont prescrits en 2003. Plus moyen non plus d’y revenir, la loi de 2018 ne s’appliquant pas.

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