Loi britannique sur l’envoi de migrants clandestins au Rwanda : un droit à ne pas respecter le droit international ?
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Relecteurs : Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay
Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Aya Serragui
La loi britannique qui prévoit le transfert des migrants arrivés clandestinement vers le Rwanda est conforme au droit national car elle déclare le Rwanda comme un pays sûr. Mais la Cour européenne des droits de l’Homme sanctionnera le Royaume-Uni si elle juge que les personnes envoyées dans ce pays d’Afrique de l’Est y craignent pour leur sécurité.
Le Parlement britannique a adopté une loi permettant de renvoyer les personnes entrées de manière irrégulière au Royaume-Uni vers le Rwanda. En discussion depuis le mandat de Boris Johnson en 2019, qui a passé le relai à Liz Truss, le projet de loi est ensuite tombé entre les mains de Rishi Sunak, actuel Premier ministre britannique, qui entend, selon son argumentaire, mettre fin aux traversées périlleuses de la Manche par des milliers de personnes. Reste que ce texte est en contradiction avec certaines règles posées par le droit international et la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Un texte déjà sanctionné par le juge
En novembre 2023, la Cour Suprême britannique a déclaré le projet de loi contraire aux conventions internationales, en ce qu’il porterait atteinte au principe de non refoulement des demandeurs d’asile, posé par l’article 33 de la Convention de 1951 sur le Statut des réfugiés. Selon les juges, il existait un risque que les personnes renvoyées vers le Rwanda soient refoulées dans un pays où leur vie, leur liberté, seraient menacées.
La Cour EDH elle-même avait suspendu le transfert d’un irakien vers le Rwanda en juin 2022, prévu dans le cadre de l’accord entre le Royaume-Uni et ce pays d’Afrique de l’Est. La Cour attendait des garanties quant à un accès équitable à la justice au Rwanda et exigeait également que ce pays soit considéré comme sûr, condition pour qu’une personne y soit expulsée, toujours selon l’article 33 de la Convention de 1951. Il faut préciser que chaque État dresse sa propre liste de pays d’origine sûrs vers lesquels il peut renvoyer des personnes. Il faut cependant noter qu’il n’existe pas de “liste mondiale” des pays sûrs. En France c’est l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), une juridiction qui traite les demandes d’asile, qui dresse cette liste, selon l’article L121-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Le choix de contourner le droit international
Le gouvernement britannique a déjà fait savoir qu’il fera fi des décisions des juridictions, qu’elles soient nationales ou européennes. Par cette loi qui vient d’être adoptée et qui entérine l’accord de transfert avec le Rwanda, le Royaume-Uni considère unilatéralement ce pays comme étant sûr. Se faisant, le législateur britannique apporte une solution au principal point de blocage de la Cour Suprême britannique.
Ceci étant, la rédaction de l’article 33 de la Convention de 1951 qui interdit d’envoyer une personne dans un pays dans lequel elle craint pour sa sécurité laisse une certaine marge d’appréciation aux juge et législateur britanniques. Contrairement à la France, le Royaume-Uni n’est pas soumis à l’harmonisation de la Cour de Justice de l’Union européenne en matière d’asile.
Le juge national britannique ne pourra donc pas s’opposer à l’application de cette loi en estimant que le Rwanda n’est pas un pays sûr. Mais la Cour EDH pourra condamner le Royaume-Uni, toujours partie à la Convention européenne des droits de l’Homme, s’il est démontré devant elle que le Rwanda n’est pas un pays sûr et que malgré cela le Royaume-Uni poursuit ses transferts. De nombreux recours en perspective.
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