Bruits d’animaux et plaintes : le maire d’Emberménil interdit d’avoir plus d’un coq, une oie, une pintade et deux chiens
Autrice : Élise Fraysse, Professeure de droit public, Université Clermont Auvergne
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, Professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Source : 20 minutes, 21 septembre 2023
Un maire ne peut pas résoudre un problème de bruit excessif par une mesure de police tout aussi excessive : avant de porter atteinte au droit de propriété, et notamment de posséder le nombre d’animaux qu’on veut, le maire aurait dû tenter des mesures moins sévères pour réduire le bruit.
La maire d’Emberménil, petite commune de 250 habitants en Meurthe-et-Moselle (54), a décidé en début septembre de limiter par arrêté le nombre d’animaux par foyer : pas plus d’”un coq, une oie, une pintade et deux chiens”. Motif : ces animaux engendreraient de nombreuses nuisances sonores et donc des plaintes des administrés. L’arrêté entend “limiter sur l’ensemble de la commune les bruits gênants occasionnés par les animaux vis-à-vis de leur intensité, de leur durée, de leur caractère agressif ou répétitif”. Cet arrêté semble a priori illégal.
Le maire peut interdire certains bruits…
Selon l’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), le maire est chargé de la police municipale sur son territoire : il peut sur ce fondement prendre des mesures afin de faire cesser les troubles à l’ordre public, parmi lesquels “les atteintes à la tranquillité publique telles que […] les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique (article L. 2212-2 CGCT). Bien souvent, les maires sont donc sollicités par leurs administrés pour faire cesser les troubles du voisinage.
…Mais jusqu’où peut-il pousser la contrainte ?
Les mesures de police administrative, prises pour faire cesser un trouble à l’ordre public, ont pour caractéristique principale de limiter un certain nombre de libertés individuelles. En l’occurrence, l’arrêté pris par la maire d’Emberménil interdit de posséder le nombre d’animaux que l’on souhaite. Il vient ainsi limiter le droit de propriété (protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) tout comme le droit de “tout homme […] de détenir des animaux” (article L. 214-2 du Code rural et de la pêche maritime).
Or, une mesure de police administrative doit être proportionnée au but poursuivi : autrement dit, l’édile doit veiller à ce que sa mesure ne soit pas trop attentatoire aux droits et libertés. Est-ce le cas ici ? Pour juger de la proportionnalité de l’arrêté, un juge raisonne en trois temps.
Comment raisonnerait le juge s’il était saisi ?
L’adéquation de la mesure, d’abord, conduit le juge à se poser la question suivante : y a-t-il un lien suffisant entre l’objectif visé (la tranquillité publique) et la mesure prise ? L’arrêté permet-il effectivement de faire cesser les troubles ? Certes, on peut imaginer que moins il y a d’animaux, moins il y a de bruit. Néanmoins, est-ce véritablement le nombre d’animaux qui compte, et non l’éducation reçue ? Pourquoi alors se limiter à ces animaux, et ne pas limiter également le nombre de moutons, de pigeons, de crapauds, de perroquets, etc. ? On peut douter plus fondamentalement que la limitation du nombre d’animaux ait une incidence substantielle sur le degré de nuisances sonores (trois chiens qui n’aboient pas valent toujours mieux qu’un chien qui aboie).
La nécessité de la mesure, ensuite : existait-il d’autres solutions pour mettre un terme à ce trouble à l’ordre public ? Or, sur ce point aussi, on peut s’interroger. S’il est courant que les maires soient confrontés au problème des troubles du voisinage, la solution privilégiée consiste le plus souvent en une interdiction pour les propriétaires de laisser aboyer les chiens de jour comme de nuit. Un simple courrier peut être adressé aux personnes concernées pour leur rappeler de veiller à la tranquillité du voisinage ou énonçant les sanctions prévues en cas de tapage nocturne (article R. 632-2 du Code pénal) ou de “bruit particulier […] de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage” (article R. 1333-7 du Code de la santé publique). C’est seulement si ces mesures, plus douces, restent sans effet, que le maire peut alors passer aux mesures plus sévères (interdiction, mise en fourrière, etc.).
Mais ce n’est pas fini : le juge exige une proportionnalité entre la gravité du trouble (le bruit, les troubles du sommeil, etc.) et l’atteinte aux libertés (le droit de posséder des animaux en l’occurrence). Or on a vu précédemment qu’un arrêté moins sévère, voire un simple courrier de rappel à la loi pouvaient permettre de réduire le trouble sans porter atteinte au droit de propriété. Dans notre affaire, non seulement l’arrêté pose directement une interdiction absolue quant au nombre d’animaux que l’on peut posséder, mais il s’applique également sur l’ensemble territoire communal, alors même que les troubles du voisinage se concentrent sur une partie seulement. Certes, le maire souhaitait de cette manière “ne pas cibler un des deux lotissements où il y a les problèmes”. Mais le juge n’apprécie guère les interdictions générales et absolues, qu’il considère souvent comme excessives et donc illégales.
Qu’importe le prisme par lequel on le regarde, l’arrêté pris par la maire d’Emberménil semble bien illégal et serait probablement suspendu ou annulé par le juge s’il était saisi. D’autant que la loi du 29 janvier 2021 protégeant le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, vient d’inscrire les “sons” et les “odeurs” des espaces naturels au “patrimoine commun de la nation” (article L. 110-1 du Code de l’environnement)…
Contactée, la mairie n’a pas répondu au Surligneurs.
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