Pollution dans les ports marseillais : pourquoi le maire Benoît Payan n’a pas de prise sur le ballet de paquebots ?
Auteur : Adam Salmon, élève-avocat, École des Avocats Sud-Est
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Charles Denis et Loïc Héreng
À Marseille, le maire Benoît Payan vient de lancer une pétition pour faire pression sur l’État qui n’agirait pas assez contre les géants des mers qui polluent la cité phocéenne.
C’est le maire de la deuxième ville de France en termes d’habitants et il a pourtant moins de pouvoirs qu’un maire de commune rurale. Benoît Payan, Maire “Printemps Marseillais” de la ville du même nom semble bien démuni face au balai incessant des plus gros paquebots du monde qui frôlent la ville et étouffent ses habitants. Il vient de proposer aux riverains de signer une pétition contre “d’énormes bâteaux” estimant qu’ils polluent l’air aux abords de la commune en toute impunité.
Concrètement, le maire de Marseille demande à l’État et à l’Organisation Maritime Internationale (OMI) d’instaurer une zone de contrôle des émissions atmosphériques en méditerranée (Zone ECA) pour renforcer les contrôles des paquebots, limiter les émissions de soufre, voire interdire les escales des navires les plus polluants durant les pics de pollution. Une étude a d’ailleurs été lancée par le ministère de la Transition écologique en 2020 pour mesurer l’impact qu’aurait une zone ECA en mer Méditerranée, l’objectif d’entrée en vigueur ayant été fixé à 2022. Les navires circulant en mer baltique, qui est déjà une zone ECA, ont des contraintes plus strictes sur la teneur en soufre des carburants : elle est 5 fois inférieure que pour les paquebots de la Méditerranée.
Pourquoi Benoît Payan, maire et donc et donc détenteur de prérogatives sur sa commune, qu’on appelle des pouvoirs de police, n’agit-il pas lui-même dès maintenant ?
Une question légitime lorsque l’on sait que le Code général des collectivités territoriales permet par exemple au maire d’une commune, lorsque la nécessité de la protection de l’environnement l’exige, de réglementer la circulation routière et le stationnement en agglomération, notamment en interdisant l’accès par des véhicules à certaines voiries de manière temporaire ou permanente ou en alternant les véhicules autorisés à circuler pour préserver l’environnement. Pour ce faire, rien de plus simple que de prendre un arrêté municipal. Or, en matière de pollution maritime, les pouvoirs du maire sont très limités.
Ce que le maire d’une commune portuaire peut réglementer
Le maire exerce un pouvoir de police uniquement sur les ports de plaisance , les ports de commerce étant créés, aménagés et exploités par les départements, tandis que les ports de pêche dépendent des régions. Par exception un maire peut exercer un pouvoir de police sur les ports de commerce et de pêche mais à condition que ce pouvoir lui soit délégué par le département ou la région. Concrètement, Benoît Payan est donc compétent pour agir sur 14 ports marseillais, amusons-nous à les lister : le vieux-port, la pointe-rouge, les ports de l’Estaque, du Frioul, des Goudes, de Callelongue, de la Fausse Monnaie, de Morgiou, de Sormiou, de Malmousque, du Vallon des Auffes, de la Madrague de Montredon, de l’Escalette et des Croisettes.
Il exerce un pouvoir de police sur ces seuls ports de plaisance avec l’aide de la police municipale pour “faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature” . À ce titre, il peut réglementer la circulation et le stationnement des navires dans la seule limite administrative du port. En 2003, le maire de Collioure, dans les Pyrénées-Orientales, avait ainsi réduit la durée de stationnement de certains navires, limité le nombre de rotations par bateau, voire même interdit l’entrée et le stationnement de navires de grandes tailles lorsque l’accès au port était trop exigu (une décision confirmée par le Conseil d’État). Dans le sillon de Collioure, plusieurs villes de la côte méditerranéenne ont commencé à limiter la présence des jet-skis, comme Argelès-sur-Mer ou Port-Camargue.
Un arrêté municipal n’est légal qu’en respectant certains principes
Mais un maire ne peut pas tout se permettre. Chaque mesure qu’il prend doit être strictement nécessaire, adaptée et proportionnée à la situation. Ainsi, son pouvoir de réglementation ne lui permettrait en aucun cas d’empêcher à des navires d’embarquer ou de débarquer, ou d’instaurer un système d’autorisation préalable, comme l’a précisé le Conseil d’État en 2003. Un tel arrêté serait particulièrement attentatoire à la liberté d’entreprendre ainsi qu’à la liberté de commerce et d’industrie des sociétés qui les exploitent puisqu’il instaurerait une interdiction générale et absolue (un principe issu de la loi des 2 et 17 mars 1791 et rappelé par le Conseil constitutionnel en 2020). Ce n’est qu’exceptionnellement que le Conseil d’État avait admis une interdiction générale de circulation ou d’accès à un espace naturel dans la commune d’Ardes-pas-de-Calais et cela du fait de la configuration particulière d’un site ou de sa pollution permanente. Le maire de Marseille pourrait donc, comme à Collioure, instaurer une réglementation spécifique aux navires les plus polluants au titre de la salubrité publique dans les ports de plaisance, mais à condition de solidement motiver son arrêté. Ce ne serait pas la première fois qu’un maire agit ainsi, sans que la justice n’y trouve à redire.
Autre limite : le maire n’est pas le seul à exercer ce pouvoir de police portuaire des ports de plaisance puisqu’il est aussi attribué au préfet maritime. Ces deux autorités n’exercent cependant pas leur pouvoir dans la même aire géographique : le maire ne peut agir que dans la limite administrative du port déterminée par un arrêté préfectoral et le préfet à partir de cette limite administrative, sauf en cas d’urgence ou concernant les installations classées.
Problème : le port marseillais accueillant les navires les plus polluants n’est pas un port de plaisance
La réglementation des seuls ports de plaisance par le maire de Marseille serait un coup d’épée dans l’eau, car cette liste exclut le “Grand port maritime de Marseille-Fos”, géré quant à lui par un établissement public sous la tutelle de l’État. Or c’est bien ce port qui constitue le cœur du problème puisque c’est celui qui accueille les paquebots que dénonce Benoît Payan, à l’image du Wonder of The Seas, plus grand navire de plaisance au monde.
Le capitaine d’un paquebot pourrait, tout au plus, être poursuivi devant un tribunal correctionnel s’il se livre à un rejet d’hydrocarbure en violation de la convention de Marpol ou encore si le carburant qu’il utilise ne respecte pas la composition autorisée par le Code de l’environnement, notamment la teneur en soufre maximale autorisée. Encore faut-il que les contrôles aient lieu et révèlent ces infractions.
Ainsi, le maire d’une commune portuaire détient bien un pouvoir de police lui permettant de réglementer la circulation et le stationnement des navires dans les ports de plaisance, mais le principal port accueillant les plus gros paquebots du monde ne relève pas du maire mais de l’État. C’est le revers de la médaille des maires des plus grandes villes de France, qui, comme à Paris, doivent composer avec des infrastructures d’intérêt national captées par l’État, et rognant d’autant le pouvoir des édiles.
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