Peut-on imposer l’uniforme à l’école en France ?

Création : 26 novembre 2018
Dernière modification : 17 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit

Le ministre de l’Éducation nationale Michel Blanquer s’est dit favorable à l’uniforme dans les établissements scolaires, position qui a été relayée par la presse. Le maire de Provins tente depuis le 5 novembre 2018 l’expérience d’uniformes dans les écoles primaires, non obligatoires et payants, tout en accordant des facilités de paiement pour les familles démunies. Il ne s’agit pas ici de disserter sur les avantages et inconvénients de l’uniforme à l’école, mais de savoir s’il pourrait être rendu obligatoire. Or il ne semble pas y avoir d’obstacle juridique.

Droit actuel : les tenues interdites

Curieusement, la tenue vestimentaire à l’école est régie principalement de façon négative : pas de signes ostentatoires d’appartenance religieuse (loi du 15 mars 2004), ce qui exclut évidemment les vêtements à caractère religieux, comme les turbans a dit le juge en 2004. Ce qui signifie qu’un élève refusant de quitter ce vêtement incompatible peut être sanctionné en conseil de discipline, ajoute encore le juge. Il en va de même à propos du voile ou de tout autre vêtement qui marque une appartenance religieuse.

Indépendamment de leur caractère religieux, certains vêtements peuvent heurter la sensibilité des autres élèves, soit par leur caractère impudique, soit par leur connotation politique, voire raciale, ou raciste. Ainsi, tout directeur d’établissement scolaire peut demander à un élève d’enlever un vêtement comportant des inscriptions racistes ou appelant à la violence, et au besoin l’exclure jusqu’à ce qu’il se conforme aux impératifs de respect de l’ordre public. D’ailleurs la plupart des règlements intérieurs des établissements scolaires exigent une tenue « convenable », comme le préconise une circulaire ministérielle de 2011.

Un vêtement peut aussi comporter un message publicitaire susceptible de porter atteinte à la neutralité du service public de l’enseignement, ce qui serait le cas si une activité pédagogique liée à une entreprise privée s’accompagnait du port de tenues publicitaires.

Droit actuel, suite : les tenues obligatoires

Il existe aussi des obligations positives de porter telle ou telle tenue. Ces obligations portent d’abord sur la tenue d’éducation physique et sportive. Les élèves sont en effet obligés de porter des vêtements adaptés aux activités sportives voire à un sport précis, pour des raisons de sécurité, d’hygiène, mais aussi pour préserver le matériel (ex. : chaussures spéciales pour évoluer sur certaines surfaces fragiles des gymnases). Ces obligations valent également pour le port de tenues de sécurité dans les lycées professionnels, ou de blouses dans les salles de physique ou de sciences de la vie et de la Terre. Elles valent aussi, et ce n’est pas négligeable, pour certains lycées comme les lycées hôteliers ou les lycées militaires, au sein desquels l’uniforme avec cravate est obligatoire, ou encore au sein des missions d’éducation de la Légion d’honneur. Enfin, l’uniforme est maintenu dans la plupart des établissements des départements d’outre-mer, sans que cela résulte de la loi mais d’une tradition. La presse a déjà établi une liste des établissements où l’uniforme est obligatoire.

Dans tous les autres cas, l’enfant est libre de porter ce qu’il veut… ou ce que ses parents lui imposent. Ni l’école ni aucune autorité administrative ne peuvent interdire une tenue en dehors des cas cités plus haut, ni imposer des vêtements en dehors de considérations de sécurité, d’hygiène ou de protection du matériel scolaire.

Droit futur : peut-on imposer l’uniforme à l’école ?

Le maire de Provins n’a pas imposé l’uniforme. Après avoir consulté sa population (référendum local), il a seulement proposé aux parents d’acheter un uniforme et de le faire porter à leurs enfants. Au besoin, les parents bénéficient de facilités de paiement, ce qui va dans le sens de l’égalité. Il l’a fait pour les écoles primaires, car il n’est pas compétent pour les collèges (qui dépendent du département) ni les lycées (qui dépendent de la région).

Il n’aurait pas pu l’imposer : le choix d’une tenue vestimentaire fait partie des libertés individuelles. Le juge évoque ainsi la « liberté de se vêtir à sa guise ». En droit, ce n’est toutefois qu’une liberté dite « personnelle », c’est-à-dire une liberté moins absolue que les libertés dites « fondamentales », comme le droit au respect de la vie privée, la liberté d’opinion, la liberté d’expression. Autrement dit, la liberté de se vêtir à sa guise pourra supporter bien plus de restrictions.
Ainsi, le travail en salariat comporte bien des obligations vestimentaires, comme le port de l’uniforme ou de vêtements de protection, notamment pour des raisons d’hygiène. L’employeur peut aussi imposer un « dress code », en raison de considérations de réputation et d’image de marque de l’entreprise. La jurisprudence reconnaît à l’employeur le droit d’exiger du salarié qu’il porte une tenue adaptée à ses fonctions, y compris jusqu’à la longueur d’une jupe (que l’employée d’un Sofitel estimait trop courte, la Cour de cassation donnant raison à l’employeur). L’employeur peut encore interdire les tenues qu’il juge contraires à l’image que l’entreprise veut se donner, parce que trop décontractées (affaire du bermuda sous la blouse de travail) ou impudiques, ou encore trop fantaisistes, en particulier lorsque l’employé est en contact avec la clientèle. Dans tous ces cas, le juge vérifie que la restriction à la liberté de se vêtir est proportionnelle au but recherché pour l’entreprise, ce qui joue essentiellement lorsque l’employé est en contact avec la clientèle.

Ce raisonnement peut être transposé à l’école. Un chef d’établissement peut assurément rendre obligatoire toute tenue en lien avec des impératifs de sécurité, d’hygiène. Il peut aussi imposer l’uniforme afin de marquer l’appartenance à un corps, un métier : hôtellerie, armées, etc. Mais il s’agit chaque fois de cas particulier. Qu’en est-il de l’obligation générale imposée à tous les élèves ?

L’obligation générale de revêtir l’uniforme supposerait une loi

Imposer l’uniforme à tous les élèves, supposerait assurément l’intervention d’une loi, car seule la loi peut restreindre les libertés de façon générale (article 34 de la Constitution). Sur quel fondement cette loi pourrait-elle imposer l’uniforme dans les écoles ? Les élèves n’étant pas en contact avec une « clientèle », ni même dépositaires de l’image de l’école (au contraire de certaines écoles privées), il faudrait trouver un autre fondement pour justifier de restreindre leur liberté des élèves de se vêtir à leur guise. Les partisans de l’uniforme le fournissent : la restauration d’une certaine égalité, de nature à atténuer les tensions entre élèves et à rétablir une cohésion au sein des écoles. L’idée est contestée, notamment par des sociologues et syndicalistes. Mais en droit, le Conseil constitutionnel n’a pas à contester les objectifs que se fixe le Parlement car ce n’est pas son rôle. Il vérifie seulement que cet objectif n’est pas contraire à la Constitution et que les moyens mis au service de cet objectif (l’uniforme) sont en rapport et proportionnés.

Sur cette base, on ne voit pas ce qui empêcherait d’imposer l’uniforme à toutes les écoles publiques.

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