1/3 – La Convention européenne des droits de l’homme : “charte des criminels” ou protection contre les dérives autoritaires ?
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteurs : Justine Coopman, Juliette Dudermel, Anaïs Faucher, Chloé Langlais, Hervé Mafuta Kansis, Anastasia Danai Maraka et Ithry Marouan, master droit européen, Université de Lille
Relectrice : Tania Racho, docteure en droit européen
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), gardienne de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, déplaît à un certain nombre de responsables politiques en Europe. Sujette à autant d’approximations que de mésinformation – c’est-à-dire une information erronnée, intentionnelle ou non –, la Cour est notamment décriée pour ses jugements en matière de terrorisme et de criminalité. La désinformation gagne la Cour européenne des droits de l’homme du fait des condamnations à l’encontre de sept de ses membres cités à la barre : France, Allemagne, Royaume-Uni, Grèce, Italie, Espagne et Pologne. Voilà le sujet du premier volet sur les campagnes de désinformation subies par cette juridiction.
La Cour européenne des droits de l’homme est-elle contrainte de rentrer dans le débat public et d’affirmer ses préoccupations quant aux fausses affirmations dont elle est l’objet ? Souvent confondue avec la Cour de justice de l’Union européenne, la compétence de la CEDH en matière de protection des droits de l’homme est mal vécue pour ceux qui souhaitent être les seuls maîtres à bord. Notamment lorsqu’il s’agit de politique pénale relative au terrorisme et à la répression de la criminalité. Cette fracture grandit dans plusieurs États.
La CEDH : une “charte des criminels” ?
En Italie, dernièrement, la CEDH a été accusée par les politiques d’extrême droite d’offrir un abri pour les criminels. À l’origine, une décision rendue par la Cour en 2019 rejetant la possibilité pour le pays d’instaurer une peine de réclusion à perpétuité réelle pour délit de mafia. Sujet sensible en Italie, la mafia est un phénomène qui hante le pays et les limites fixées par la CEDH ont suscité une large opposition. Giorgia Meloni, cheffe du parti postfasciste Fratelli d’Italia a alors qualifié la Convention européenne de “charte des criminels”.
Cette idée est également apparue au Royaume-Uni suite à une controverse sur le droit de vote des prisonniers. De fausses informations sous la forme de manipulation statistique appuient alors cette image d’une Cour trop zélée envers les criminels. Par exemple, en 2012, le journal britannique le Daily Mail titre que “le Royaume-Uni perd 3 cas de droits de l’homme sur 4”. Pourtant, selon un rapport du Parlement britannique de 2014, la proportion d’affaires que le Royaume-Uni perd devant la CEDH n’est pas de 75 % ou 60 % mais plus proche de 1 %. Selon les statistiques de la CEDH, en 2014, 1 997 requêtes ont été déposées devant la Cour, sur ce chiffre 1 970 ont été déclarées irrecevables et seulement 27 se sont terminées par un arrêt dont seulement 4 constatent au moins une violation, soit presque 7 % de violation par le Royaume-Uni de la CEDH en 2014. Ces chiffres diffèrent en raison d’une méthode de calcul différente, la prise en compte par les médias des affaires écartées par le juge faussant l’ensemble de leur calcul.
Une Cour obligée de se justifier sur les fausses informations à son sujet
En 2013, dans un communiqué exceptionnel, la CEDH a elle-même fait part de ses préoccupations suite à la fausse représentation fréquente des activités de la Cour dans les médias britanniques. Ce communiqué fait suite à un article du Daily Mail, repris par The Telegraph, autre journal d’outre-Manche, indiquant que les Britanniques payent des sommes astronomiques pour leurs impôts à cause des décisions de la CEDH pour dédommager criminels, délinquants et terroristes. Or les chiffres avancés ne faisaient pas la différence entre les frais juridiques (paiement des juges, avocats…) et les sommes accordées en dédommagements.
Pour le professeur spécialiste des droits de l’homme, Philip Leach, ces tensions montrent à la fois la méconnaissance de la CEDH mais aussi une “désinformation délibérée” tant les commentaires sont fréquents et erronés.
Le droit de vote des prisonniers : le début d’une fracture entre le Royaume-Uni et la CEDH
En 2005, la CEDH considère que l’interdiction généralisée du droit de vote des prisonniers au Royaume-Uni est contraire à la Convention. Cela signifie que le Royaume-Uni doit revoir sa loi pour que le droit de vote à ses prisonniers ne leur soit pas automatiquement retiré mais imposé au cas par cas, sur décision motivée d’un juge. Pour les Britanniques, il s’agit là d’une atteinte à la souveraineté parlementaire si chère au pays qui dispose du plus vieux parlement du monde occidental.
Malgré le fait que la CEDH a réitéré sa position plusieurs fois, sans pour autant aller jusqu’à imposer le paiement d’une somme en dédommagement du Royaume-Uni aux prisonniers privés de droit de vote, le gouvernement n’a pas changé sa législation. En 2015, le Premier ministre David Cameron déclarait à ce sujet que l’idée de changer cette législation le rendait “physiquement malade”.
En France, des responsables politiques en désaccord avec la CEDH sur la question du renvoi des terroristes dans leur pays d’origine
Les décisions de la CEDH – comme Daoudi en 2009 et Rafaa en 2013 – demandant à la France de ne pas expulser des personnes condamnées pour des actes de terrorismes ont été perçues comme une entrave à la vision française de la lutte contre le terrorisme par l’ancien député LR Pierre Lellouche. Cette demande est liée au risque de traitements inhumains et dégradants dans le pays de renvoi (article 3 Convention). Considérant qu’il s’agit de questions de sécurité nationale, fonction essentielle de l’État, Pierre Lellouche avait d’ailleurs proposé une loi visant à renégocier les conditions de saisine de la CEDH et ses compétences sur les questions de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme. Celle-ci n’a finalement pas été adoptée par l’Assemblée.
Par ailleurs, des députés Les Républicains, comme Valérie Boyer et Julien Aubert en 2018, souhaitaient “exclure le terrorisme des compétences de la CEDH”. Pour ce faire, Valérie Boyer voulait “renégocier les conditions de saisine de la CEDH sur les questions de sécurité nationale et de terrorisme”. Pour appuyer ces propos, Julien Aubert a rappelé que la CEDH avait déjà condamné la France qui voulait “extrader un terroriste algérien”, ce qui, pour la Cour, aurait porté atteinte à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui porte sur l’interdiction de la torture. Julien Aubert critique donc l’interprétation faite par les juges de la Convention sur ces questions qui devraient être traitées par le juge français selon lui. Cependant, d’autres décisions ont finalement eu comme issue l’extradition dans le cas où il n’y avait pas de violation de la Convention.
Les reproches sont donc virulents à l’égard de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a son siège à Strasbourg, symbole de la réconciliation franco-allemande et pour ne jamais oublier ce que la barbarie nazie a fait à l’Europe. Si la critique est saine, on sent poindre ces dernières années un certain agacement à l’égard d’une Cour qui empêcherait les États d’avoir les mains libres pour lutter contre le terrorisme. Pourtant, n’est-ce pas le rôle d’une Cour que d’être un contre-pouvoir en rappelant sans cesse au monde politique ce qu’exigent dignité et démocratie ? Le débat est loin d’être clos.
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