Yannick Jadot promet une nouvelle gouvernance sociale des entreprises avec “jusqu’à 50 %” de salariés dans les “instances de décision”

Création : 16 décembre 2021
Dernière modification : 27 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Source : Le Monde, 28 septembre 2021

50 % des voix dans l’instance dirigeante d’une entreprise (comme le conseil d’administration), cela signifie que le propriétaire en perd le contrôle, et donc qu’il est exproprié de facto. Cela signifie aussi qu’il n’a plus de liberté d’entreprendre, c’est-à-dire de définir sa stratégie. C’est doublement contraire à la Constitution.

Yannick Jadot n’est pas le premier candidat à souhaiter voir les représentants des salariés occuper une plus grande place dans les instances décisionnelles des entreprises, telles que le Conseil d’administration. Benoît Hamon proposait en 2017, de façon encore plus révolutionnaire, 1/3 de représentants des salariés, 1/3 d’actionnaires et 1/3 de représentants des “parties affectées” comme les sous-traitants. Si Yannick Jadot se place sur une ligne plus modérée à l’égard des actionnaires d’entreprises, avec 1/3 dans les entreprises de moins de 500 salariés et 50 % au-delà, les problèmes posés par sa proposition sont de deux ordres.

Une expropriation de facto

D’abord cela revient à exproprier indirectement les actionnaires de leur entreprise : le lien qui unit l’actionnaire à son entreprise est un lien de propriété. Si d’autres que lui sont mis à même de diriger l’entreprise, il en perd le contrôle et n’a plus la maîtrise de son bien. Or, détenir 50 % des voix dans une instance de décision revient à exercer un pouvoir incontournable. Cette expropriation indirecte, sans aucune indemnisation (en l’état du programme écologiste), est contraire à la Constitution car elle porte atteinte au droit de propriété. Ce droit de propriété n’est certes pas absolu, et la loi a pu imposer des cessions de parts sociales aux propriétaires d’entreprises, afin de sauver l’activité en l’attribuant à un repreneur. Mais il s’agit de détenteurs de parts qui ne dirigent pas l’entreprise, de simples investisseurs. La proposition de Yannick Jadot concerne tous les actionnaires, dirigeants ou pas.

Participation à la gestion de l’entreprise ne signifie pas la gouverner

Ensuite, la Constitution prévoit bien que “Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises”. Mais cette règle, appelée “principe de participation”, ne va pas jusqu’à permettre aux salariés de gouverner l’entreprise. Ce serait contraire à un autre principe constitutionnel, celui de la liberté d’entreprendre, qui interdit au législateur d’imposer aux dirigeants une stratégie managériale. C’est ainsi qu’a été déclarée contraire à la Constitution une loi qui entendait subordonner les licenciements économiques à l’accord d’un juge, ou une autre loi qui prévoyait d’obliger les dirigeants à céder leur entreprise, lorsqu’elle est en difficulté, à un repreneur ”sérieux” désigné par le juge.

La liberté d’entreprise n’est pas non plus absolue et peut être limitée en raison d’objectifs d’intérêt social, écologique, fiscal, sanitaire, etc., mais le propriétaire doit garder sa liberté de gestion, au sens où il lui revient seul de déterminer la stratégie de l’entreprise.

Il faudra probablement réduire les ambitions écologistes sur ce point

En somme, si Yannick Jadot tient à son projet, il lui faudra aplanir les angles : 50 % de représentants, mais pas 50 % des voix au sein de l’instance dirigeante, et ces voix ne seraient valables que dans certains domaines, comme les conditions de travail, mais pas sur les orientations de l’entreprise, qui relèvent du seul actionnaire, sous réserve du respect des objectifs d’intérêt général cités plus haut. La Constitution n’a pas prévu de système d’autogestion sociale généralisée. Ou alors Yannick Jadot fait passer son projet dans la Constitution-même, ce qui poserait bien des problèmes à l’égard des investisseurs étrangers, en particulier ceux de l’Union européenne : non seulement ils seraient expropriés de facto ce qui entrave la libre circulation au sein du marché européen, mais, surtout, ils fuiraient la France à l’avenir.

Contacté, le candidat n’a pas répondu à notre sollicitation.

Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.