Yannick Jadot : « nous annulerons donc tous les brevets existants sur le vivant et ne permettrons pas leur reconnaissance par la France et l’Europe »
Dernière modification : 27 juin 2022
Autrice : Anaïs Szkopinski, maître de conférences en droit privé, Université Paris-Saclay
Source : Programme EELV 2022, “Vivant ”, p. 16
En l’état de la législation française, le vivant est en effet brevetable sous différentes formes et donc susceptible d’appropriations privées. Mais ces possibilités sont limitées et encadrées. Et surtout, cette législation résulte d’une transposition fidèle du droit international et européen, qu’il n’est pas possible de modifier sans négocier avec les partenaires, à moins de s’en affranchir.
Yannick Jadot, candidat écologiste à l’élection présidentielle, veut annuler les brevets sur les graines, les plantes, les arbres, les bactéries et les animaux afin qu’ils ne puissent plus faire l’objet d’un droit de propriété. Il affirme que « la nature, vierge ou transformée, n’appartient à personne ». Or, il existe bien quelques appropriations privées, mais limitées, et en tout état de cause, supprimer ces appropriations supposerait de s’affranchir du droit européen, voire international.
Les plantes, arbres, bactéries et animaux ne sont pas, en tant que tels, brevetables
Le brevet est un titre de propriété industrielle délivré par une autorité reconnue par l’État. Ce titre a pour objet de protéger une invention nouvelle susceptible d’application industrielle, notamment agricole, en conférant un droit exclusif d’exploitation à l’inventeur. Brevet suppose donc une activité inventive, ce qui empêche de breveter les animaux, graines, arbres ou bactéries dont l’existence dans la nature a été simplement découverte. Le Code de la propriété intellectuelle exclut ainsi la brevetabilité des races animales, des variétés végétales, des croisements ou des procédés de sélection pour l’obtention de végétaux et d’animaux.
Distinguer « brevet » et « obtention végétale »
Sont brevetables, les animaux ou les végétaux issus de la mise en œuvre d’une méthode stimulant ou interrompant la croissance et les bactéries fabriquées par l’homme.
Les plantes, graines et arbres nouvellement créés par un processus humain ne sont, quant à eux, pas brevetables. Ils sont protégés par un “certificat d’obtention végétale” prévu par le même Code.
De la même manière, un règlement européen de 1994 permet de délivrer un certificat d’obtention végétale à une personne ayant découvert une variété végétale, ce qui est aussi prévu par une convention internationale de 1961. Yannick Jadot a donc raison d’affirmer que les graines, plantes et arbres peuvent faire l’objet d’appropriations privées. Cependant, la simple découverte d’une variété ne suffit pas : le certificat n’est obtenu que si la variété découverte est stable, ce qui, en général, implique des travaux scientifiques. Cela signifie que le certificat représente la contrepartie des investissements intellectuels et financiers réalisés.
Les appropriations sont toujours limitées et temporaires
Le titulaire d’un brevet dispose d’un droit exclusif sur son invention pendant 20 ans, et celui d’un certificat d’obtention végétale, pendant 25 ans ou 30 ans. Ensuite, l’invention et l’obtention végétale tombent dans le domaine public et peuvent être exploitées librement et gratuitement par tous.
Mais, même durant la période d’exclusivité, il existe des exceptions : les utilisations notamment sans finalité commerciale, à titre expérimental, ou aux fins de création d’une nouvelle variété. Surtout, ce qu’on appelle le « privilège de l’agriculteur« , lui permet d’utiliser librement, sur son exploitation, à des fins de reproduction ou de multiplication, le produit de la récolte obtenue par la mise en culture d’une variété protégée.
Comment annuler des brevets et certificats d’obtention végétale fondés sur le droit européen et international ?
Pour annuler les brevets et certificats d’obtention végétale, comme le souhaite Yannick Jadot, le Parlement français devrait non seulement abroger toute sa législation existante, mais aussi remettre en cause la validité de ceux délivrés antérieurement.
Or, d’une part, en droit national, il y a un risque d’inconstitutionnalité, en raison d’une atteinte au droit de propriété qui est consacré par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Il faudrait certainement indemniser les titulaires de brevets et obtenteurs de variétés… ce qui ne semble pas « coller » avec le programme EELV.
D’autre part, le droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ainsi que le l’Union européenne ont depuis longtemps créé une réglementation commune à tous les États parties concernant les brevets. Par conséquent, le législateur français ne peut adopter des dispositions accordant une protection plus faible à l’inventeur que le seuil minimum prévu par les textes internationaux et européens. Idem pour les obtentions végétales, régies par Convention internationale pour la protection des obtentions végétales de 1961 et un règlement européen de 1994. Or, le règlement européen reprenant la Convention de 1961, il faudrait que l’Union européenne, membre de cette Convention, décide de s’en retirer puis modifie son règlement. Processus bien utopique…
En somme, la France ne peut agir de façon unilatérale, sauf à s’affranchir des textes européens et internationaux.
Contacté, Yannick Jadot n’a pas répondu à nos sollicitations.
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