Yaël Braun-Pivet : “En France, c’est à jamais que l’IVG sera un droit”
Auteur : Hugo Collin Hardy, étudiant en Master Droit constitutionnel et droits fondamentaux à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Relecteurs : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP à l’Université Paris-Saclay
Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Compte X de Yaël Braun-Pivet, 4 mars 2024
Le vote du 4 mars consacre au rang constitutionnel le recours à l’IVG comme une “liberté garantie”. La révision adoptée peut protéger certains acquis législatifs et interdit notamment la pénalisation ultérieure de l’IVG. Elle n’étend toutefois pas les droits déjà consacrés par la loi en matière d’IVG et n’empêche pas non plus une modification ultérieure de la Constitution pour retirer cette “liberté garantie”.
La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a déclaré à la presse que le vote du Congrès à Versailles permettrait de “protéger à jamais les femmes et les filles de notre pays.” Elle a ensuite publié sur ses réseaux sociaux : “en France, c’est à jamais que l’#IVG sera un droit.” La députée Manon Aubry a quant à elle déclaré qu'”on ne pourra plus jamais revenir en arrière.“
Ce vote ne fait pourtant pas de l’IVG un droit protégé par la Constitution, mais seulement une liberté garantie, ce qui n’a pas les mêmes conséquences juridiques. Par ailleurs, rien ne permet d’affirmer que l’IVG serait protégé “à jamais“, en ce qu’une nouvelle révision constitutionnelle pourrait modifier, étendre, restreindre ou supprimer ce qui vient d’être adopté.
Du délit à la liberté garantie : cinquante ans d’évolutions législatives
Il y a cinquante ans à peine, en 1975, l’avortement était encore un délit réprimé par l’article 317 du Code pénal. Les peines pouvaient atteindre deux ans d’emprisonnement et 20 000 francs d’amende pour la personne qui “s’était procuré ou tenté de procurer l’avortement”, cinq ans d’emprisonnement et 100 000 francs d’amende pour la personne ayant permis l’avortement et jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 250 000 francs si l’acte était habituel, avec une interdiction d’exercer pendant cinq ans pour les professionnels du médical.
Après la publication du “Manifeste des 343” dans L’Obs en 1971 et la médiatisation du procès dit “de Bobigny” en 1972, la loi “Veil”, adoptée en 1975, dépénalise l’avortement pour une durée provisoire de cinq ans : concrètement, le délit demeure dans le Code pénal, mais les juges ne peuvent plus le prononcer.
Depuis, la législation a fortement évolué, allant vers la reconnaissance progressive d’éléments caractéristiques d’un “droit”, avec l’instauration d’obligations positives pour l’État. À partir d’une loi de 1982, les frais de l’IVG sont progressivement pris en charge par la Sécurité sociale (à 100 % aujourd’hui). En 1993, l’entrave dans l’accès à l’IVG devient un délit, étendu à l’entrave à l’information sur l’IVG en 2014 puis à la désinformation numérique en 2017. Le délai légal pour recourir à l’IVG est allongé de 10 à 12 semaines en 2001, puis à 14 semaines en 2022. La condition de “détresse“, auparavant exigée par la loi, est quant à elle supprimée en 2004.
Les conditions et modalités de recours à l’IVG sont aujourd’hui organisées aux articles L2211-1 à L2223-2 du Code de la santé publique. Cela implique pour l’État un certain nombre d’obligations pour rendre ce droit effectif et, notamment, d’informer “sur les méthodes abortives” (article L2212-1, al. 2).
Certains freins dans l’accès à l’IVG demeurent néanmoins, comme l’a notamment signalé un rapport parlementaire de 2020, notamment des inégalités territoriales dans l’accès à l’IVG, avec des fermetures de centres, des pénuries de médecins acceptant de pratiquer l’IVG et des pénuries de pilules abortives. Cependant, le projet de loi constitutionnelle adopté le 4 mars 2024 n’a pas pour objet de lever ces freins.
Ce vote ne fait pas forcément de l’IVG un droit garanti par la Constitution
Il sera ajouté un alinéa à l’article 34 de la Constitution (sur le domaine de loi), pour préciser que “la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.”
Comme Les Surligneurs l’indiquaient dans un article du 4 mars, cela fait de l’IVG une liberté garantie et non un droit, du moins au niveau constitutionnel. Cela signifie que l’État n’a d’obligations positives de faciliter le recours à l’IVG que celles qui lui sont attribuées par la loi.
Cela a néanmoins des effets juridiques. D’abord, cela signifie qu’il ne sera plus possible, en France, de pénaliser le recours ou l’aide à l’IVG sans modifier la Constitution. On peut y voir une sorte d'”effet de cliquet juridique”, comme pour la constitutionnalisation de l’interdiction de la peine de mort à l’article 66-1 de la Constitution en 2007.
Ensuite, la “liberté garantie” constitue une nouvelle catégorie de normes constitutionnelles : le Conseil constitutionnel devra donc en déterminer le régime et il pourrait se fonder sur cette nouvelle disposition pour censurer une loi qui restreindrait de manière excessive le recours effectif à l’IVG. Tout résiderait néanmoins dans l’interprétation de ce qui est ou non une restriction excessive (par exemple, un déremboursement éventuel de l’IVG). De même, il pourrait décider de la reconnaître comme une liberté invocable à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), pour censurer une loi qui n’aurait pas été soumise à son contrôle et entraverait le recours à l’IVG.
Par ailleurs, la portée symbolique de la révision constitutionnelle conduit à donner une place particulière à l’IVG dans l’agenda politique et médiatique. Ainsi, le décret autorisant les sages-femmes à pratiquer l’IVG, pris le 16 décembre 2023, doit être revu par le gouvernement afin d’en assouplir les conditions.
Néanmoins, ce qui est fait peut être défait.
La liberté nouvellement garantie pourra être modifiée ou supprimée… par une nouvelle révision
La Constitution prévoit elle-même ses modalités de révision, à l’article 89. Ainsi, tout député et sénateur peut déposer une proposition de loi constitutionnelle, de même que le président de la République peut, sur proposition du Premier ministre, déposer au Parlement un projet de loi constitutionnelle. L’adoption du texte se fait ensuite en deux étapes.
D’abord, il doit, selon des modalités particulières, être examiné et adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ensuite, il doit, par principe, être soumis au référendum national pour être définitivement adopté. Par exception, le président de la République peut décider de soumettre le projet de révision (mais pas la proposition, qui émane du Parlement) au Parlement convoqué en Congrès. Réunis à Versailles, députés et sénateurs votent alors ensemble une dernière fois sur le texte : s’il obtient plus de 60 % de votes favorables, alors il est approuvé. C’est ce qui s’est passé le 4 mars 2024, avec 780 voix pour (soit 91 % des voix exprimées), 72 voix contre, 50 abstentions et 22 non-votants.
Autrement dit : ce qui est fait, en matière de lois comme en matière de Constitution, peut toujours être défait. Les droits acquis peuvent toujours être perdus et rien n’est irréversible.
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