Vu sur Youtube : “En France, si quelqu’un part en vacances et que tu décides d’aller dans son logement et de changer la serrure, on n’a pas le droit de te foutre dehors”
Dernière modification : 17 février 2024
Autrice : Fanny Geiger, master droit des libertés, Université de Caen
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relectrice : Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé, Université de Caen
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : HappyLifeCanada, vidéo courte Youtube, octobre 2023
Si les deux “youtubeurs” québécois n’ont pas tort lorsqu’ils affirment qu’un propriétaire ne peut lui-même expulser un squatteur, c’est surtout en vertu du principe selon lequel nul ne peut se faire justice à soi-même. Faute de vivre au Far West, il faut faire appel aux forces de l’ordre ou au juge, par des procédures dédiées. C’est en effet long.
Deux “youtubeurs” québécois à forte audience affirment dans une vidéo humoristique postée sur les réseaux sociaux, qu’en France un propriétaire n’a pas le droit d’expulser une personne qui aurait pris possession de son logement pendant son absence. Ce post a suscité une vague d’indignation dans les commentaires. Ce que ces Québécois affirment tient d’une rumeur répandue selon laquelle les squatteurs sont protégés en France au détriment du propriétaire, que même Radio Canada relaye. Or il faut nuancer.
Définition du “squat”
Un local est présumé squatté, lorsqu’il est occupé par des personnes n’ayant pas conclu de contrat de location avec le propriétaire. Il faut faire une distinction essentielle entre le locataire mauvais payeur, c’est-à-dire qui ne paie plus son loyer et qui ne respecte donc plus le contrat de bail, et le squat à proprement parler, c’est-à-dire une personne qui s’est introduite frauduleusement chez une autre personne pour y habiter.
Le fait pour une personne de s’introduire dans le domicile d’autrui (qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale) à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes (hors les cas où la loi le permet) est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (Art. 226-4 Code pénal). Le fait de se maintenir ensuite dans le domicile est puni des mêmes peines (même article). La loi du 27 juillet 2023 a renforcé la lutte contre les squats en étendant la protection aux résidences secondaires sur le plan pénal.
Que peut faire le propriétaire d’un local squatté ?
Peut-il “éjecter” lui-même les personnes qui se sont introduites frauduleusement dans sa propriété ? Ce serait un délit. Le délit d’expulsion illégale a été créé par la loi ALUR du 24 mars 2014. Le propriétaire serait paradoxalement lui-même considéré comme l’auteur d’une violation de domicile en expulsant quelqu’un de son lieu d’habitation au sens de l’article 226-4-2 du Code pénal.
Dès lors, le même article 226-4-2 du Code pénal prévoit que le propriétaire qui force un squatteur à quitter le domicile sans avoir obtenu le concours de la force publique risque trois ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. Autrement dit, bien que le squatteur viole la loi, le propriétaire ne peut pas “se faire justice lui-même”, au risque de commettre à son tour un délit. D’autant que les squatteurs peuvent être des familles avec enfants : les jeter dehors par la force peut les mettre en danger.
Le recours à la police (pas très efficace)
Cela signifie-t-il que le propriétaire doit rester hors de chez lui à attendre qu’un juge prononce l’expulsion ? Il peut dans l’immédiat demander à la police d’expulser le squatteur, même en l’absence de toute décision judiciaire d’expulsion, dès lors qu’on est dans un cas de délit de flagrance. Est qualifié de crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. En pratique, un délai de 48 heures est retenu. Ceci suppose donc d’avoir porté plainte et fait constater l’occupation illicite dans ce délai, ce qui est très difficile lorsque les traces d’effractions sont effacées et la serrure changée… Au-delà de ce délai, il est nécessaire de passer par le juge.
Le recours au préfet (plus rapide mais pas toujours possible)
Pour remédier à ces difficultés et mieux protéger les propriétaires contre les squatteurs, la Loi dite DALO du 5 mars 2007 modifiée par loi du 27 juillet 2023 prévoit une procédure d’expulsion accélérée (article 38). La mise en œuvre de cette procédure nécessite le respect de trois conditions : tout d’abord, le propriétaire doit porter plainte sur le fondement du délit de squat. Il doit ensuite prouver que le logement constitue son domicile (qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale depuis la loi ASAP du 7 décembre 2020). Enfin, il doit faire constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire, un maire ou un commissaire de justice. Dans cette procédure, l’expulsion a lieu rapidement. En effet, une fois saisi de la demande, le préfet dispose de 48 heures pour mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux. Puis, dans les 24 heures après la mise en demeure, le préfet doit procéder sans délai à l’expulsion en ayant recours à la force publique.
La mise en demeure des squatteurs peut cependant être refusée par le préfet en cas de motif impérieux d’intérêt général (article 38 précité) ou en raison de la prise en compte de la situation personnelle ou familiale de l’occupant dont l’évacuation est demandée (précision apportée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 24 mars 2023).
Le recours au juge (très lent)
Lorsque l’évacuation forcée par le préfet n’est pas possible, la seule solution est de recourir à la procédure judiciaire, qui est beaucoup plus longue. Selon l’article L 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution : “Sauf disposition spéciale, l’expulsion ou l’évacuation d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux”. En effet, le propriétaire doit prouver l’occupation irrégulière, justifier d’un titre de propriété, mais aussi identifier les occupants (par des témoignages ou constat de commissaire de justice) car l’assignation en justice doit préciser l’identité des personnes poursuivies pour qu’elles puissent se défendre. Cette dernière condition est très bloquante en pratique car le propriétaire ne connaît généralement pas précisément les données d’état civil des squatteurs, qui se gardent bien de les communiquer. Le propriétaire doit alors entamer une “procédure sur requête” (c’est-à-dire une procédure dédiée aux cas où les circonstances du litige justifient une dérogation au principe du contradictoire) : le juge pourra ainsi statuer sans entendre les squatteurs.
Forcément, le délai sera plus long. Il faut d’abord que le juge prononce l’expulsion (plusieurs mois). Ensuite, si les squatteurs ne quittent pas les lieux dans le mois suivant la décision du juge, un huissier de justice peut délivrer un commandement de quitter les lieux. L’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que l’expulsion “ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de 2 mois qui suit le commandement”, mais ce délai est supprimé en cas de mauvaise foi de l’occupant.
Si les squatteurs ne partent toujours pas, l’huissier pourra solliciter le concours de la force publique. Le préfet peut cependant là encore refuser ce concours en raison de la situation personnelle (présence d’enfants en bas âge par exemple) et familiale des squatteurs. La responsabilité de l’Etat serait toutefois engagée avec obligation d’indemniser le propriétaire victime.
Précisons qu’un squatteur ne peut pas se prévaloir de la trêve hivernale (depuis la loi ELAN) et ne peut pas opposer le droit au logement au propriétaire du local pour se défendre et faire obstacle à l’expulsion (Cour de cassation, 4 juillet 2019).
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