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Vincent Bolloré sur l’IVG : “Il y a la liberté des gens à disposer d’eux-mêmes et la liberté des enfants à vivre”.

Création : 27 mars 2024

Autrice : Léonie Fafin et Loane Faucon, étudiantes à l’Université de Caen

Relectrice : Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé, Université de Caen

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Le Monde, 14 mars 2024

Il ne faut pas confondre les convictions morales et le droit : à ce jour, l’embryon n’a juridiquement aucun droit ni aucune obligation.

Au sujet de l’IVG, “je pense que se heurtent, dans cette affaire, deux libertés. Comme vous le savez, c’est la liberté des gens à disposer d’eux-mêmes et la liberté des enfants à vivre”. Cette phrase a été prononcée par Vincent Bolloré dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire sur l’attribution des fréquences de la TNT. 

Vincent Bolloré est le propriétaire du groupe Canal +. Il était interrogé à la suite de la polémique concernant Cnews (chaîne appartenant au groupe Canal +) dont un journaliste avait affirmé que l’IVG était la “première cause de mortalité dans le monde”. Libre à chacun d’estimer qu’un embryon est un enfant, mais en droit, c’est pour l’instant faux. 

En l’état du droit, l’embryon n’est pas une personne juridique

La liberté d’interrompre sa grossesse appartient à toute femme, qu’elle soit mineure ou majeure (art. L. 2212-1 CSP). Cela signifie que la femme est libre de choisir de recourir à une IVG sans avoir à se justifier. Elle ne doit pas non plus subir de pressions. Cette liberté n’est cependant pas absolue : elle doit être conciliée avec le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie (art. L. 2211-1 CSP et art 16 C. civ.). C’est pourquoi le recours à l’IVG ne peut être exercé qu’avant la fin de la 14ème semaine de grossesse (un motif médical étant nécessaire pour interrompre une grossesse plus tardivement, par exemple l’embryon atteint d’une ”affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic” : art. L. 2213-1 CSP). 

Ainsi, s’il existe bien en droit une liberté des personnes à disposer de leur corps et donc de recourir à l’IVG dans certaines limites, il n’en va pas de même de liberté des enfants à vivre s’agissant d’un embryon. Tant qu’un enfant n’est pas né vivant et viable il n’a pas de personnalité juridique et ne dispose donc, à proprement parler, d’aucun droit ou liberté. 

Un embryon ne peut pas mourir juridiquement

Ainsi Vincent Bolloré fait-il passer ses convictions avant le droit en utilisant le terme “enfants”, laissant penser que l’embryon ou le fœtus sont des personnes jouissant de droits. Cela n’est pas le cas : un embryon ne peut pas “mourir” juridiquement, ce qui interdit, en droit toujours, d’assimiler l’IVG à une cause de mortalité comme le cancer ou les accidents de la route.

En effet, la personne humaine ne doit pas être confondue avec la personne juridique, qui seule est un sujet de droit, avec des droits et des obligations. C’est ce qui ressort des articles 318 et 725 al. 1er du Code civil : l’enfant n’acquiert la personnalité juridique qu’à partir du moment où il naît vivant et viable. Dans certains cas, la personnalité juridique peut rétroagir jusqu’à à la conception lorsqu’il en va de l’intérêt de l’enfant : c’est le cas par exemple lorsque l’enfant est conçu mais pas encore né, et que survient la mort d’un des parents, le but étant de préserver son droit d’hériter. Mais cela reste conditionné au fait que l’enfant naisse vivant et viable (Cour de cassation, 1e chambre civile 10 décembre 1985). 

L’embryon, chose juridique, est pour autant une personne humaine 

Si l’embryon n’est pas une personne juridique, il est nécessairement considéré comme une chose juridiquement. S’il peut sembler gênant de qualifier l’embryon de chose sur un plan philosophique ou moral, la notion de chose est ici purement technique et ne conduit pas à nier sa qualité de personne humaine. L’embryon est bien, dès sa conception, un être humain au sens de son appartenance à l’espèce humaine. D’ailleurs, la loi Veil de 1975 légalisant l’IVG pose dans son premier article le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie, donc dès sa conception. Ce n’est que par exception qu’on peut mettre fin à la vie de cet embryon (IVG), ce qui explique pourquoi l’IVG est enserrée dans des délais.

 

 

Précision. Faisant suite à la réaction d’un de nos lecteurs que nous remercions, nous avons supprimé les affirmations selon lesquelles l’embryon n’est pas un enfant. Notre lecteur nous oppose la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 qui prône, dans son préambule, une “protection juridique appropriée, avant comme après la naissance”.  Le corps de cette convention ne précise toutefois pas si le fœtus est juridiquement un enfant, et cette phrase devrait plutôt être interprétée comme la protection des droits l’enfant à naître (donc futur) et pas de l’enfant non né. Cette convention est en tout état de cause sans incidence sur l’état du droit en France qu’elle ne remet pas en question. Reste que nous avons préféré supprimer les affirmations en cause qui ont pu choquer en la forme. Il va de soi que nous ne contestons pas les idées morales et philosophiques de V. Bolloré ni de quiconque, nous limitant à décrire l’état du droit. La Rédaction, le 8 avril 2024.

 

 

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