Vert Marine annonce la fermeture temporaire de certaines piscines municipales à cause du prix de l’énergie

Création : 8 septembre 2022
Dernière modification : 26 septembre 2022

Auteur : Guillaume Heim, Université Paris-Panthéon-Assas, et Sciences Po Paris

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay  

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Yeni Daimallah



Source : communiqué de Vert Marine aux communes concernées, relayé par la presse

Rien dans les textes ou la jurisprudence ne permet à l’entreprise Vert Marine de cesser l’exploitation de son propre chef, même si l’exploitation des piscines devient insoutenable économiquement. Mais elle a droit à une indemnisation à certaines conditions.

Face à la hausse du prix de l’électricité, l’entreprise Vert Marine, qui exploite environ 80 centres sportifs en France et notamment des piscines municipales, a annoncé la fermeture temporaire d’une trentaine d’entre elles. En cause, des coûts d’exploitation ayant été multipliés par six en quelques semaines, selon l’entreprise..

Plusieurs maires dont la commune est concernée par ces fermetures ont vivement contesté cette décision de Vert Marine, au motif qu’elle n’a pas le droit de suspendre de son propre chef l’ouverture des piscines qu’elle exploite. Qu’en dit le droit ?

Vert Marine est-elle totalement autonome dans sa gestion des piscines qu’elle exploite ?

Certainement pas ! Si l’entreprise a une certaine liberté de gestion et assume à ce titre aussi bien les bénéfices que les risques de l’exploitation de la piscine, la Mairie continue d’exercer un contrôle assez poussé : par exemple, c’est la Mairie, et elle seule, qui définit les tarifs.

Plus encore, ces contrats de délégation de service public doivent respecter certaines grandes règles, même si elles ne sont pas écrites dans le contrat de délégation en tant que telles. En particulier, le délégataire doit assurer la continuité du service public, en particulier pour les écoles. Cet impératif de continuité constitue une règle absolue sauf force majeure,  peu importe le coût d’exploitation pour le délégataire.

Il en résulte clairement que Vert Marine ne pouvait, juridiquement, arrêter son activité, qui plus est de son propre chef.

Vert Marine doit continuer à exploiter les piscines, même à perte, moyennant indemnisation

Le droit applicable à ces contrats de délégation de service public prévoit de longue date l’hypothèse où le contrat est bouleversé par un événement extérieur. En effet, selon la loi, « Lorsque survient un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité » : on parle de « théorie de l’imprévision », une théorie imaginée en réalité dès 1916 par le juge, dans une affaire dite « Gaz de Bordeaux » qui présente une belle similitude avec le cas des piscines. Brièvement dans cette affaire, l’entreprise chargée d’éclairer- au gaz à l’époque – la ville de Bordeaux en 1916, avait cessé son activité car le prix du gaz issu du charbon (extrait dans le nord de la France) augmenta de façon insupportable à cause de la guerre. 

Le Conseil d’Etat en a déduit les conséquences suivantes, reprises par les textes : pour qu’il y ait imprévision, les événements qui affectent la poursuite du contrat doivent avoir trois caractéristiques. Ils doivent d’abord être imprévisibles au moment où le contrat de délégation est conclu, ce qui est assurément le cas de la guerre en Ukraine : les délégations de services publics sont des contrats de moyen ou long terme, conclus il y a parfois des années. Ces événements doivent aussi être extérieurs aux parties (la commune et l’entreprise), ce qui est ici évident. Enfin, et surtout, ces événements doivent entraîner ce qu’on appelle un « bouleversement de l’économie du contrat », le rendre économiquement insoutenable pour l’entreprise. Cette dernière doit alors continuer à exécuter le contrat, mais elle a droit à une indemnité pour compenser en quasi-totalité le surcoût subi, et ce jusqu’au rétablissement d’une situation normale. Ce n’est que si le bouleversement du contrat dure indéfiniment, qu’on parle de force majeure, ce qui peut, et seulement dans ce cas là, permettre de résilier le contrat. 

En pratique, c’est la justice qui décidera s’il y a eu bouleversement de l’économie du contrat. Soit la hausse des coûts de l’énergie est telle qu’elle n’est plus soutenable par le délégataire, ce qui constitue bien un cas d’imprévision, alors Vert Marine devra avoir maintenu ouvertes les piscines, mais la commune devra lui verser une compensation totale ou presque. Si cette hausse est supportable compte tenu des autres coûts d’une piscine, le délégataire non seulement doit continuer l’exploitation, mais il n’a droit à aucune indemnité. Dans les deux cas, la fermeture des piscines par Vert Marine est illégale et peut faire l’objet d’une sanction sous forme de pénalités financières voire de résiliation unilatérale (c’est-à-dire d’office) par la commune du contrat (mais n’est-ce pas ce qu’attend Vert Marine ?…) 

Notons enfin que la théorie de l’imprévision a été très rarement appliquée depuis 1916, faute selon le juge de bouleversement de l’économie du contrat. Cette fois-ci, il est certain que les hausses constatées paraissent inédites et à comparer avec le choc pétrolier de 1973. Affaire à suivre donc. En tout état de cause, il paraît plus commode dans l’immédiat de modifier le contrat de délégation pour tenir compte des nouvelles conditions : c’est ce que permet ainsi la loi et ce qu’a d’ailleurs encouragé le Gouvernement pendant la crise sanitaire, alors que les fluctuations des prix des matières premières posaient déjà problème.

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