Valérie Pécresse veut interdire aux pickpockets récidivistes d’utiliser les transports en commun, alors que ça ne relève pas de la région
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Paul Bruna, rédacteur
Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay, et Charlotte Vincent-Luengo, doctorante en sciences criminelles à l’université de Lille
Source : CNews, La Matinale, 18 juin 2021
L’interdiction de paraître dans les transports publics ne fait pas partie des pouvoirs des régions. Seul un juge pourrait l’ordonner en complément ou en substitution d’une peine d’emprisonnement. Ou alors il faudrait modifier la loi pour créer une telle interdiction.
Valérie Pécresse, actuelle présidente du conseil régional d’Île-de-France et candidate à sa propre succession, a déclaré avoir demandé que les pickpockets récidivistes franciliens soient condamnés à une interdiction de paraître dans les transports en commun. Or, la région ne peut pas instaurer d’elle-même une telle interdiction ni l’exiger des transporteurs. Seul un magistrat a ce pouvoir. Contactée, l’équipe de campagne de Valérie Pécresse répond que « dans le cadre de ses compétences transports, la Région est légitime à demander cette interdiction de paraitre dans les transports en commun« , en faisant une analogie avec les interdictions de stade pour les supporters violents. Sauf que dans le cas des stades, c’est l’État qui prend la décision depuis qu’une loi le lui a donné ce pouvoir, et non la région.
L’interdiction de paraître dans un lieu peut être prononcée par différents magistrats au cours de la procédure pénale. Il faut donc détailler les étapes et les acteurs de cette procédure pour comprendre qui peut prononcer une interdiction de paraître, et quand.
En premier lieu, quand une infraction est constatée, elle est transmise (en général par la police ou la gendarmerie) au procureur de la République. C’est lui qui décide s’il va poursuivre ou non la personne soupçonnée. Mais avant même de prendre cette décision, il peut prononcer une interdiction de paraître s’il estime que cette mesure permettrait “d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits”. Le procureur de la République peut également prononcer une interdiction de paraître en contrepartie de l’abandon des poursuites. Dans les deux cas, la personne visée par cette mesure n’est pas considérée comme condamnée à une peine, puisqu’elle n’aura pas été jugée. Peu importe donc à ce stade qu’elle soit récidiviste ou non.
Le ministre de la Justice peut adresser des instructions générales aux procureurs afin de leur ordonner de prononcer plus fréquemment ce type de mesure. Mais la région ne peut en aucun cas faire de même.
Ensuite, le juge peut prononcer une interdiction pour une durée de trois ans au plus, de paraître dans certains lieux ou catégories de lieux déterminés par la juridiction et dans lesquels l’infraction a été commise. Comme ce mécanisme joue pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement, comme le vol à la tire, c’est ce qui se rapproche le plus du cas de figure envisagé par Valérie Pécresse.
Cependant, personne ne peut forcer un juge à prononcer une peine, en vertu du principe d’individualisation des peines que nous avons déjà évoqué aux Surligneurs. De plus, quand le juge prononce une peine, il pense en même temps à la réinsertion du condamné. Or, empêcher quelqu’un d’utiliser les transports en commun serait extrêmement handicapant pour trouver un travail, suivre des études ou une formation professionnelle, entre autres.
Il faut souligner que le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée de 2020 comportait un article créant un dispositif d’interdiction de paraître dans les réseaux de transports publics pour les personnes y ayant commis certaines infractions (violences, vol, harcèlement sexuel…). Mais cet article fut supprimé par un amendement déposé par les députés de la majorité Mme Avia et M. Gouffier-Cha. En effet, le Conseil d’État avait soulevé qu’une telle mesure serait difficile à appliquer, étant donné que les transports franciliens accueillent environ 10 millions de voyageurs par jour.
Il reste les agents assermentés de la RATP ou les forces de police présentes dans les transports en commun franciliens, qui peuvent arrêter les pickpockets et les raccompagner dehors après avoir dressé un procès-verbal. Mais ils ne peuvent en aucun cas interdire à l’intéressé de revenir.
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