Valérie Pécresse souhaite “réhabiliter les courtes peines de prison” et “ouvrir des centres de détention provisoire”
Dernière modification : 27 juin 2022
Autrices : Amelle Benrejdal, Sarah Bekhti et Corinne Joseph, master 2 de droit pénal et politiques criminelles, Université Paris Nanterre
Relectrice : Audrey Darsonville, professeure de sciences criminelles, Université Paris-Nanterre
Source : BFM TV, en direct, le 6 janvier 2022
Valérie Pécresse mêle bien des questions que nous allons distinguer les unes des autres. En particulier, les courtes peines d’emprisonnement sont contre-productives d’après le législateur-même et mettre des bâtiments désaffectés aux normes pénitentiaires n’a rien d’évident.
Jeudi 6 janvier, Valérie Pécresse, candidate à l’élection présidentielle 2022, annonçait vouloir “ressortir le Kärcher de la cave”. Elle s’est notamment exprimée à propos du sort des délinquants, car selon la candidate “on vit une impunité permanente des délinquants”. Pour lutter contre cette impunité, elle annonce vouloir “réhabiliter les courtes peines de prison”, créer “des centres de détention provisoire” et “utiliser autrement” les bracelets électroniques. En droit, de telles propositions ne sont pas évidentes et parfois même inutiles.
Les courtes peines sont exécutées, mais autrement
Valérie Pécresse explique que “les courtes peines de prison ne sont plus jamais exécutées depuis Christiane Taubira”. La candidate souhaite donc “réhabiliter les courtes peines”. Or, les courtes peines existent déjà et sont bien exécutées, mais elles le sont sous une forme aménagée. La loi prévoit plusieurs types d’aménagement de peines, tels que la détention à domicile sous surveillance électronique autrement appelé “bracelet électronique”, la semi-liberté, le placement à l’extérieur ou encore la libération conditionnelle. La détention à domicile sous surveillance électronique a d’ailleurs été créée comme peine autonome en 2019.
Ainsi, la loi prévoit que si la peine est inférieure ou égale à six mois, elle doit en principe faire l’objet d’un aménagement de peine automatique : cela signifie que la peine sera exécutée sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, sous celui de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur. Si la peine oscille entre 6 mois et 1 an, l’aménagement est facultatif et laissé à la décision du juge, qui prend en compte la personnalité et la situation du condamné.
D’après le législateur même, les courtes peines d’emprisonnement sont contre-productives
Par ailleurs, la loi du 23 mars 2019 interdit aux juges de prononcer des peines d’emprisonnement ferme inférieures à un mois. Le gouvernement avait indiqué, dans son projet de loi, que “d’autres peines sont parfaitement susceptibles de se substituer à des peines fermes d’aussi courte durée, qui ont un effet désocialisant majeur et qui prédisposent à la récidive, ce qu’il faut impérativement éviter”. Selon lui, la suppression de ces courtes peines doit permettre d'”assurer une exécution effective des peines prononcées” par les juges.
Le Conseil d’État avait considéré que “ces dispositions, qui sont destinées à favoriser une exécution des peines à la fois effective et conforme aux objectifs d’intérêt général de prévention de la récidive et de réinsertion sociale des personnes condamnées, ne se heurtent à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel”.
Juridiquement, il serait possible d’adopter une loi qui prévoit que les courtes peines d’emprisonnement ferme ne puissent pas être aménagées, comme le propose Valérie Pécresse. Cependant, si les très courtes peines sont maintenant aménagées, c’est parce qu’elles ont démontré leur inefficacité notamment à cause des effets désocialisant de la prison. Ainsi, les enfermements de courte durée augmentent les risques de récidive, ce qui semble aller à l’encontre de la finalité poursuivie par la candidate, d’autant que la prise en charge des personnes condamnées à de courtes peines est très compliquée, compte tenu du manque de moyens de la justice et de l’absence de parcours de peine dédié pour ces personnes, comme le Sénat l’avait relevé en 2018. De tels effets contreproductifs ont été mis en évidence de longue date, et plus récemment par le Conseil économique, social et environnemental ou le Contrôleur général des prisons.
Dans des chiffres publiés en 2019, le ministère de la Justice indiquait que 34 % des peines d’emprisonnement ferme prononcées par les tribunaux correctionnels étaient mises à exécution immédiatement, 71% à 1 an et 91 % dans les 5 ans. Pour les peines d’1 à 2 ans d’emprisonnement ferme, le taux de mise à exécution immédiate grimpait à 68 %, et à 82 % pour les peines de plus de 2 ans.
Des centres de détention pour primo-condamnés : cela existe déjà
Sur un autre plan, Valérie Pécresse souhaite créer des “centres de détention provisoire” qui accueilleraient, d’après elle, les “primo-condamnés” et les condamnés à de “courtes peines”. Or, de tels centres existent, ce sont les maisons d’arrêt, dans lesquelles on trouve des personnes placées en détention provisoire ainsi que celles condamnées à des peines inférieures à 2 ans d’emprisonnement.
De plus, la création de tels établissements impliquerait de modifier l’organisation pénitentiaire qui distingue les maisons d’arrêt, accueillant les personnes en détention provisoire et les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement inférieure à 2 ans, et les établissements pour peines, dans lesquels on trouve les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement supérieure à 2 ans. Ainsi comment se situeraient dans cet ordonnancement de tels établissements provisoires ? Quelles personnes y seraient placées ?
Réutilisation de bâtiments désaffectés : et les normes pénitentiaires ?
Enfin, Valérie Pécresse souhaite ouvrir ces centres dans des “bâtiments désaffectés”. Or, comment peut-on sérieusement imaginer de transformer en urgence des immeubles désaffectés en prisons, ce qui implique d’aménager et de sécuriser de tels locaux et de les doter en personnels de surveillance et de probation ? Par exemple, le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach est devenu opérationnel en novembre 2021 après 3 ans de travaux et plusieurs mois de tests et de formations. De plus, la loi du 23 mars 2019 comportait déjà des dérogations destinées à accélérer la réalisation des opérations d’extension ou de construction de nouvelles places de prison.
On peut également se demander quel est l’intérêt de soumettre des individus à un bracelet électronique alors même qu’ils sont enfermés ? Placer des individus portant un bracelet électronique dans un “centre de détention provisoire” n’a aucun intérêt.
Pour finir, selon la candidate, “les Français veulent des résultats tout de suite”, mais en vertu du principe de non-rétroactivité, si une loi pénale est plus sévère que les précédentes, elle ne peut être rétroactive. Elle ne s’appliquera donc que pour les infractions postérieures à son entrée en vigueur donc certaines procédures seront encore soumises aux anciens textes. Tout n’est donc pas réalisable “tout de suite”.
Contactée, Valérie Pécresse n’a pas répondu à nos sollicitations.
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