Il n’existe pas l’ombre d’une preuve montrant un lien entre autisme et vaccination au Vietnam
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relecteur : Nicolas Turcev, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W
Source : Compte Facebook, le 6 avril 2025
Hier comme aujourd’hui, il n’est pas possible d’affirmer que les campagnes de vaccination au Vietnam, ou ailleurs dans le monde, ont entrainé une hausse des troubles du spectre de l’autisme.
Vaccination, autisme, Bill Gates : voilà quelques éléments qui, une fois mélangés, créent un cocktail de désinformation viral.
Sur Facebook, plusieurs publications relaient une vidéo d’une personne suggérant un lien entre une campagne de vaccination soutenue par la fondation Bill et Melinda Gates et la hausse des cas d’autisme au Vietnam.
« Lorsque le Vietnam a adhéré à l’OMS et au Fonds monétaire international, le système bancaire, Bill Gates et la Fondation Gates ont introduit le programme de vaccination au Vietnam. Aujourd’hui, le Vietnam connaît une augmentation de plus de 300 % de l’autisme », peut-on lire sur l’un des posts.
La personne qui soutient ces allégations est le docteur états-unien Anthony Phan. Sur son site Internet, aucun élément ne laisse penser que ce médecin est un spécialiste du trouble du spectre de l’autisme (TSA). En revanche, Anthony Phan semble bien connaître le Vietnam, puisqu’il nous précise par mail qu’il a vécu dans le pays durant son enfance.
Quant aux preuves qui lui permettent de soutenir de telles allégations, le docteur nous renvoie vers une étude publiée en 2019 menée par plusieurs chercheurs vietnamiens. Or, que nous apprend celle-ci ? Si elle confirme bien une hausse de la prévalence du trouble du spectre de l’autisme chez les enfants âgés de 18 à 30 mois au Vietnam, elle ne suggère jamais que cette hausse soit liée à une quelconque campagne de vaccination.
Une causalité inventée
« Les principaux facteurs de corrélation entre les TSA et les enfants étaient le milieu urbain, le sexe masculin et la profession de la mère (agricultrice). Des études plus approfondies sur les déterminants des TSA sont nécessaires pour mieux comprendre ce problème », avancent les auteurs de l’étude.
Aussi, ces recherches démontrent que le Vietnam n’est pas particulièrement plus touché que les autres pays. « La prévalence des TSA parmi les enfants observés dans cette étude est assez similaire à la prévalence moyenne des TSA dans le monde (0.76 %) », observent les auteurs.
Une étude plus récente, également menée au Vietnam, conclut, elle aussi, à une hausse de la prévalence de l’autisme dans le pays. Mais là encore, sans en déterminer les causes exactes ni prêter le flanc à la théorie d’une exception vietnamienne.
« Bien que les causes sous-jacentes des TSA chez les enfants au Vietnam n’aient pas pu être étudiées, il est essentiel de s’attaquer à ce problème de santé publique méconnu », conclut l’étude, qui suggère par ailleurs « de développer un système de surveillance efficace pour détecter les TSA par un dépistage, un diagnostic et des interventions précoces auprès des enfants au Vietnam ».
« Il y a une hausse constante des diagnostics d’autisme – [mais] pas forcément des cas d’autisme – dans tous les pays du monde, le Vietnam n’a pas de raison de faire exception », explique aux Surligneurs le consultant spécialisé en autisme Pierre Violland, qui se définit comme pair-aidant professionnel, un rôle de soutien et d’accompagnement rempli par et pour des personnes sur le spectre.
Aux États-Unis, les données nationales, accessibles sur le site de l’agence fédérale américaine des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), confirment, elles aussi, une hausse constante du nombre de personnes diagnostiquées TSA. Même constat en France, si l’on se réfère à ce bulletin de Santé publique France publié en 2020.
Un meilleur diagnostic de l’autisme
Comment expliquer cette tendance à la hausse, documentée dans plusieurs pays ? Plusieurs facteurs se cumulent, explique Aurélie Barranger, directrice d’Autisme-Europe, qui fédère près de 90 associations : « Un meilleur dépistage, un meilleur accès au diagnostic, une plus grande sensibilisation de tous les publics au sujet de l’autisme. »
« Aucune étude ne peut affirmer ni infirmer que le trouble du spectre de l’autisme est plus fréquent qu’avant au sein de la population. En effet, l’augmentation de la prévalence peut également être attribuée à l’évolution des critères de diagnostic, ainsi qu’à un diagnostic plus précoce et plus précis des troubles », souligne, sur son site, le service d’écoute et d’orientation Autisme info service. Une explication empreinte de précautions partagée par la CDC.
« Les efforts mis en place pour la détection précoce portent leurs fruits. D’autre part, une meilleure diffusion des connaissances sur l’autisme dans le grand public a permis à de nombreuses personnes de s’identifier autistes en étant adulte », ajoute Pierre Violland.
En d’autres termes, puisque la médecine s’intéresse désormais de près aux troubles de l’autisme, elle est désormais en mesure de mieux diagnostiquer le handicap et davantage de personnes.
Motivations antivax
Enfin, concernant le lien entre vaccination et autisme, Anthony Phan ne nous a fourni aucun élément prouvant un lien de causalité. En réalité, d’après les experts interrogés par Les Surligneurs, la désinformation court depuis 1998 et la publication d’une étude, désavouée par la suite, dans la revue britannique The Lancet. Celle-ci se basait sur un échantillon de 12 enfants atteints de problèmes gastriques.
« Il est apparu clairement que plusieurs éléments de l’article de 1998 sont erronés », a affirmé des années plus tard la célèbre revue. « Les preuves évidentes de falsification des données devraient désormais mettre un terme à cette peur vaccinale néfaste », soutenait pour sa part, en 2011, le British Medical Journal. La thèse du TSA induit par la vaccination avait été réfutée dès 2002 par une revue spécialisée pédiatrique.
L’Organisation mondiale de la santé affirme, quant à elle, que « des recherches approfondies s’appuyant sur une variété de méthodes différentes et menées sur de nombreuses années ont démontré que le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole n’est pas une cause de l’autisme ».
Plutôt que d’être fondée sur des faits, la causalité fantasmée entre TSA et vaccination semble surtout liée à une opposition farouche au principe de vaccination. Comme l’affirme l’Agence France-Presse dans un article sur le même sujet, « sur les images de la vidéo [avec Anthony Phan], on peut apercevoir le mot “Vaxxed”, qui fait référence au film ayant diffusé des théories conspirationnistes et antivaccins ».
Or, ce documentaire a été réalisé par Andrew Wakefield, soit précisément l’auteur de l’étude décriée ci-dessus. Ce dernier est désormais interdit d’exercer en Grande-Bretagne, et semble avoir eu un temps l’oreille de Donald Trump, selon cet article de The Independent.