Un zoo danois nourrit-il ses prédateurs avec des animaux domestiques ?
Dernière modification : 13 août 2025
Auteur : Clara Robert-Motta, journaliste
Relectrice : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte Facebook, le 5 août 2025
Un zoo danois, qui a lancé un appel aux dons d’animaux domestiques pour nourrir ses prédateurs, s’est retrouvé au centre d’une vive polémique. Si la pratique divise, plusieurs affirmations trompeuses circulent déjà sur les conditions de ces dons.
Laïka, Gribouillis, Valko ou encore Mioga et Rosette se sont probablement terrés au fin fond de la maison en entendant l’appel aux dons de ce zoo danois, ce 31 juillet 2025 sur Facebook. « Saviez-vous que vous pouvez donner des animaux de compagnie plus petits au zoo d’Aalborg ? Les poulets, les lapins et les cochons d’Inde représentent une part importante du régime alimentaire de nos prédateurs », écrit le zoo.
L’appel, relayé dans des dizaines de médias à travers le monde, a fait scandale auprès des associations de défense des animaux et a rapidement été traduit de cette façon : « Votre animal vous encombre ? Donnez-le aux lions ! », ironise un internaute. « Et si vous en aviez marre de certains de vos enfants pendant ces vacances ???? », demande un internaute dans les commentaires, poussant le raisonnement à l’absurde. Si l’initiative peut ne pas plaire, les conditions pour donner un animal pour nourrir les bêtes de ce zoo-ci sont plus strictes que le laissent croire certaines publications.
« Rien n’est gaspillé »
Situé au nord du Danemark, le zoo d’Aalborg a ouvert ses portes en 1935 et héberge aujourd’hui environ 2 010 animaux de 110 espèces différentes. Parmi elles, des prédateurs dont le régime alimentaire est le plus souvent carnivore. Pour satisfaire ces grosses et petites bêtes, le zoo d’Aalborg reçoit des dons d’animaux en complément pour l’alimentation ordinaire de ses prédateurs. « Lorsqu’on élève des carnivores, il est nécessaire de leur fournir de la viande, de préférence avec la fourrure, les os, etc., afin de leur offrir une alimentation aussi naturelle que possible », a répondu aux Surligneurs le zoo danois.
Il est logique de permettre aux animaux qui doivent être euthanasiés pour diverses raisons d’être utiles de cette manière
D’une façon générale, les zoos achètent la viande destinée à leurs animaux auprès de fournisseurs agréés. « De la même manière que les particuliers achètent leur viande chez un boucher », commente l’EAZA, l’association européenne des zoos et aquariums, qui poursuit : « Dans certains cas, lorsque d’autres sources de proies sont disponibles (telles que des animaux tués sur la route, des dons ou d’autres sources), les zoos peuvent envisager de les utiliser pour nourrir les carnivores, à condition que toutes les conditions légales et de bien-être soient remplies. »
C’est dans ce cadre que certains zoos décident d’accepter les dons d’animaux domestiques. « Il est logique de permettre aux animaux qui doivent être euthanasiés pour diverses raisons d’être utiles de cette manière, justifie le zoo d’Aalborg. Les animaux que nous recevons sous forme de dons sont des poulets, des lapins, des cochons d’Inde et des chevaux. » Les animaux sont ensuite euthanasiés par le personnel du zoo avant d’être utilisés comme nourriture. « De cette façon, rien n’est gaspillé », promettait le zoo dans leur appel aux dons.
Ainsi, contrairement aux affirmations de certains internautes, il ne s’agit que des animaux qui auraient, de toute façon, été destinés à l’euthanasie. Les petits mammifères ne seront pas non plus poursuivis à travers l’enclos par un gros lion, mais auront été préalablement tués.
Une liste d’attente pour les chevaux
Au Danemark, la pratique est plutôt courante. « C’est assez populaire, développe Peter Sandøe, professeur de bioéthique à l’université danoise de Copenhague. Le zoo de Copenhague, par exemple, a une liste d’attente pour les chevaux. Il y a plus de propriétaires qui souhaitent se débarrasser de leur cheval de cette façon, c’est plus rentable.« En effet, une réduction fiscale est attribuée aux propriétaires qui font ce choix : la valeur du cheval est calculée à 5 couronnes danoises par kg (environ 67 centimes d’euros par kilo), rapporte le site du zoo d’Aalborg.
Le zoo de Copenhague avait défrayé la chronique en 2014 lorsqu’il avait euthanasié le girafon Marius, 18 mois, afin d’éviter la consanguinité : ses gènes étaient surreprésentés les zoos du réseau de l’EAZA. Malgré la mobilisation civile, une fois tué, l’animal a servi d’alimentation aux fauves du zoo.

Sit-in contre les zoos, avec une marionnette de girafe en hommage à Marius, abattue et disséquée en public au zoo de Copenhague en 2014. Mattia Luigi Nappi. https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0
Mais est-ce légal ? « Le fait de nourrir des animaux de compagnie en fin de vie à des animaux sauvages s’ajoute à une longue liste de pratiques dérogatoires du droit commun – sans même parler des nombreuses questions éthiques que ces pratiques soulèvent », estime Alice Di Concetto, fondatrice de l’Institut européen pour le droit de l’animal.
Des dérogations qui fluctuent selon les pays
Depuis 2002, l’UE a établi des règles sanitaires strictes concernant la consommation d’animaux par d’autres animaux (mis à jour par un règlement en 2009 et précisé en 2011). « Les crises alimentaires des années 1990 ont mis en évidence le rôle des sous-produits animaux non destinés à la consommation humaine dans la propagation de certaines maladies transmissibles. Ces sous-produits ne doivent plus entrer dans la chaîne alimentaire », enjoint l’introduction de ce même règlement. La règle de base : interdire notamment « l’alimentation entre espèces animales ».
Mais le règlement prévoit que chaque État membre puisse, « sous la surveillance de l’autorité compétente », autoriser l’utilisation de sous-produits animaux – sains – pour l’alimentation des animaux de zoo.
Cultures différentes, éthique différente
Les pratiques varient selon les dérogations propres à chaque État, largement influencées par leur culture. Pour Rodolphe Delord, président du zoo de Beauval en France, il est inconcevable d’accepter des animaux de compagnie comme alimentation pour les animaux du parc pour des raisons éthiques. « Il faut aussi voir comment ces bêtes sont tuées. Comme elles sont destinées à la consommation animale, elles ne peuvent pas être euthanasiées avec des produits [injection d’anesthésiants, ndlr]. Alors, ils sont euthanasiés comment ? Au fusil ? », s’interroge Rodolphe Delord. « Le public n’accepterait pas… et moi non plus. »
Pour Peter Sandøe, le professeur de bioéthique, il existe un deux poids deux mesures. « Les sociétés ont perdu pied avec ce qu’elles font. Lorsqu’il s’agit d’animaux de compagnie, certains vont penser ‘c’est horrible’, tandis que pour ces autres animaux, ils vont les voir comme des paquets de viande. Mais ce sont aussi des animaux qui vivent. »