Un médecin, en même temps député, peut-il affirmer tout et n’importe quoi sur les moyens de lutter contre le Covid-19 ?

Création : 9 juin 2021
Dernière modification : 22 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Un collectif de médecins luttant contre la désinformation médicale, FakeMed, entend selon le quotidien Le Figaro saisir l’ordre des médecins contre la députée Martine Wonner (groupe Libertés et territoires), en raison des propos qu’elle tient depuis quelques mois sur la campagne de vaccination, sachant qu’elle est elle-même médecin psychiatre. Que lui reproche-t-on exactement ? Que peut faire l’ordre ? Le fait qu’elle soit députée l’immunise-t-elle contre toute poursuite ?

En quoi Martine Wonner aurait-elle enfreint le Code de déontologie médicale ?

Plusieurs devoirs médicaux semblent ici en cause. Premièrement, “un médecin doit apporter son concours à l’action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l’éducation sanitaire” (Code de déontologie médicale, article R 4127-12). La fonction médicale ne se limite pas au couple médecin-patient : elle englobe tout ce qu’un médecin peut entreprendre pour contribuer à améliorer l’état de santé de la population, en participant à l’information et à la sensibilisation des personnes. Si aucun médecin n’a jamais été sanctionné pour avoir refusé de participer activement à cette mission, d’autres ont été radiés définitivement par l’ordre pour avoir entravé les efforts publics, notamment en matière de vaccination des enfants, le tout avec l’approbation du Conseil d’État. Organiser des manifestations anti-masques non masquées, dénigrer les masques et vaccins en des termes très violents et sans aucune argumentation scientifique, peut relever de cette attitude.

Deuxièmement, l’article R 4127-14 du Code : “Les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux (ni dans le public) un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui s’imposent”. En réalité, Martine Wonner ne divulgue pas de procédé à proprement parler, si ce n’est le vaccin chinois qui serait plus efficace que la « cochonnerie » de vaccin ARN messager. Mais elle agit comme si elle révélait des informations médicales sur les supposés dangers du vaccin ARN messager et du masque, sans démontrer le caractère éprouvé de ce qu’elle avance. Elle inverse la charge de la preuve scientifique, ce qui est très pernicieux et désormais très courant en science médicale : elle défie les plus hauts spécialistes du corps médical de prouver qu’ils n’ont pas tort, sans elle-même se donner la peine de prouver scientifiquement qu’elle a raison. C’est la preuve par l’insinuation du doute, si efficace et redoutable dans le public, qui semble ici poser problème au regard de ses obligations déontologiques, surtout de la part d’un médecin non spécialiste.

Troisièmement, “tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci” (article R 4127-31). Cela signifie que dans son comportement quotidien, un médecin est responsable de l’image qu’il donne de sa profession, exactement comme les magistrats, les policiers, les avocats sont responsables de l’image qu’ils donnent de leur profession. Si Martine Wonner, par ses actes et propos, dégrade l’image des médecins auprès du public, elle peut être sanctionnée par la radiation. Sont souvent visées par ce texte les attitudes déplacées de type insultes, propos racistes ou sexistes, mais aussi les critiques contre la profession elle-même, du moins lorsqu’elles sont péremptoires ou outrancières. Or Martine Wonner accuse le corps médical de “crime contre l’humanité” en raison de l’utilisation du médicament Ritrovil, soit le crime le plus grave de tous les crimes présents dans le Code pénal.

Quatrièmement, “Toute pratique de charlatanisme est interdite” (article R 4127-40). Le charlatanisme consiste pour un médecin à prôner des traitements et remèdes totalement illusoires, à la manière des camelots et autres marchands d’élixirs de longue vie d’antan. C’est  une faute grave pour un médecin, surtout que cela contribue à discréditer toute la profession. Or Martine poste sur son compte twitter des appels au sport pour un “renforcement de l’immunité #COVID19”, ou prône la vitamine D et le zinc comme outils de prévention.

Que peut faire l’ordre des médecins ?

L’ordre des médecins héberge en son sein une juridiction disciplinaire spécialisée. Une vraie juridiction, qui statue au nom du peuple français, constituée de médecins et présidée par un magistrat administratif. Elle juge les médecins poursuivis selon les règles du procès équitable, contradictoirement, sous le contrôle du Conseil d’État. Les avocats qui y plaident sont en général spécialisés, tant le droit déontologique est différent du droit pénal classique. La juridiction peut être saisie par l’ordre même, mais aussi par les autorités, ou toute personne affectée par l’attitude d’un médecin.

Cette juridiction ne peut prononcer que certains types de sanctions : l’avertissement, le blâme, l’interdiction temporaire, la radiation définitive dans les cas les plus graves (par exemple un médecin qui présente un danger pour les patients). Le but est donc d’écarter de la profession le médecin qui n’aurait jamais dû y entrer ou qui ne mérite plus d’y rester. L’ordre ne peut donc condamner à l’amende, encore moins à de l’emprisonnement.

Cela signifie-t-il qu’un médecin ne peut pas librement s’exprimer, comme l’affirme l’avocat de Martine Wonner, parlant de “dictature de la pensée unique” ? On serait tenté de répondre de deux manières : d’une part, toute personne, dès lors qu’elle décide d’entrer dans une carrière médicale (médecin, mais aussi chirurgien-dentiste, sage-femme, etc.), doit savoir qu’elle devient, à son échelle, garante du crédit de la profession tout entière. Donc, lorsqu’elle s’exprime en tant que professionnelle de santé mais aussi en dehors de son exercice, elle engage d’une certaine manière toute la profession. C’est lourd, et c’est le privilège de quelques professions dotées d’un certain prestige, tout comme les agents des forces de l’ordre ou de la magistrature, les avocats et les notaires, les architectes, etc.

D’autre part, et inversement, tout peut être dit par un médecin, s’il le fait de façon mesurée, argumentée, en évitant tout impact sur le public de nature à semer le trouble et le désordre dans l’organisation des soins. C’est à l’ordre d’apprécier cela aussi, sous le contrôle du Conseil d’État.

La qualité de député immunise-t-elle un médecin contre les poursuites devant l’ordre ?

Le fait que Martine Wonner soit médecin et députée oblige à résoudre deux problèmes avant toute poursuite.

D’abord, est-ce qu’une simple association de médecins comme FakeMed peut déposer plainte contre elle devant l’ordre ? Car selon l’article L 4124-2 du Code de la santé publique, seules certaines autorités, notamment le ministre de la Santé, ou l’ordre des médecins, peuvent poursuivre des médecins lorsqu’ils agissent “à l’occasion des actes de leur fonction publique”. Or en tant que députée, Martine Wonner remplit assurément une “fonction publique”. FakeMed ne pourrait donc pas déposer plainte. Sauf si l’on considère que lorsqu’elle tient ses propos, organise ses manifestations anti-masques, etc., Martine Wonner agit non pas comme députée mais comme médecin. D’autant qu’elle répand ses messages dans toute la France et pas seulement dans sa circonscription. Ainsi, FakeMed pourrait porter plainte contre Martine Wonner.

Deuxième question, l’immunité parlementaire de Martine Wonner empêche-t-elle l’ordre de la juger ? L’immunité parlementaire est protégée par la Constitution (article 26) en tant qu’élément de la démocratie : “Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions”. Reste que la Cour de cassation a déjà jugé que l’immunité parlementaire concernait principalement  les propos tenus dans l’hémicycle, et qu’elle excluait les propos agressifs ou diffamatoires, et surtout les propos tenus dans un cadre privé ou associatif. La question est donc : lorsque Martine Wonner émet toutes sortes de propos qui pourraient être sanctionnés par l’ordre, le fait-elle en tant que députée ou en tant que médecin ? Le médecin a la compétence scientifique mais pas le droit. La députée a le droit mais pas forcément la compétence scientifique.

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